Jean Calvin: Le traité des reliques
NDE: Ce traité de Jean Calvin sur les reliques est ironique. Aujourd'hui encore on a du mal à se retenir de rire en le parcourant. A l'époque il a connu un succès immense et a fait l'objet d'éditions nombreuses, en français, latin, allemand, anglais et flamand. Il a porté un coup fatal au culte des reliques en particulier aux fameuses fioles de lait de la Vierge. Ce traité des reliques de Calvin est inscrit à l'Index des livres interdits dès 1543.
Calvin l'a lui même rédigé en français: il savait écrire en français aussi facilement et aussi remarquablement qu'en latin... La langue reste parfaitement compréhensible elle a certes un peu vieilli mais bien moins que celle de Rabelais: Calvin a contribué à fixer la langue française.
La table des matières et les titres de paragraphe ne sont pas d'origine, l'orthographe a été très légèrement retouchée (étoit → était,...)
Morceaux choisis:
Au lieu de méditer la vie [des apôtres, martyrs et autres saints], pour suivre leur exemple, [le monde] a mis toute son étude à contempler et tenir comme trésor leurs os, chemises, ceintures, bonnets, et semblables fatras.
Si on voulait ramasser tout ce qui s'est trouvé [de pièces de la vraie croix], il y en aurait la charge d'un bon grand bateau. Quelle audace a-ce été de remplir la terre de pièces de bois en telle quantité que trois cents hommes ne les sauraient porter !
Quel sacrilège est-ce, d'abuser ainsi du nom de Jésus-Christ, pour couvrir des fables tant froidement forgées ?
[On a beau faire].. tout cela ne fait rien pour approuver que Jésus-Christ ait été crucifié avec quatorze clous, ou qu'on eût employé une haie tout entière à lui faire sa couronne d'épines; ou qu'un fer de lance en ait enfanté, depuis, trois autres; ou que d'un suaire seul il en soit sorti une couvée, comme de poussins d'une poule.
Ils n'ont point eu honte de feindre une relique de la queue de l'âne sur lequel notre Seigneur fut porté, ils la montrent à Gènes. Mais il ne nous faut étonner non plus de leur impudence, que de la sottise et stupidité du monde, qui a reçu avec dévotion une telle moquerie.
Si on leur eût montré des crottes de chèvres, et qu'on leur eût dit : voici des patenôtres (chapelets) de Notre Dame, ils les eussent adorées sans contredit.
L'abbaye de Charroux, au diocèse de Poitiers, se vante d'avoir le prépuce, c'est-à-dire la peau qui lui fut coupée à la circoncision. L'Evangéliste saint Luc raconte bien que notre Seigneur Jésus a été circoncis; mais que la peau ait été gardée, pour la réserver en relique, il n'en fait point de mention. Que dirons-nous du prépuce qui se montre à Rome, à Saint-Jean de Latran ? Il est certain que jamais il n'y en a eu qu'un... un troisième prépuce de notre Seigneur, se montre à Hildesheim.
Il n'y a si petite villette ni si méchant couvent, où l'on ne montre du lait de la sainte Vierge, les uns plus, les autres moins. Tant y a que si la sainte Vierge eût été une vache, ou qu'elle eût été une nourrice toute sa vie, à grand peine en eût-elle pu rendre telle quantité. D'autre part, je demanderais volontiers comment ce lait, qu'on montre aujourd'hui partout, s'est recueilli pour le réserver en notre temps. Il est bien dit que les bergers ont adoré Jésus-Christ, que les mages lui ont offert leurs présents; mais il n'est point dit qu'ils aient rapporté du lait pour récompense.
Les dernières reliques qui appartiennent à Jésus-Christ : un morceau du poisson rôti que lui présenta saint Pierre, quand il lui apparut sur les bords de la mer. Il faut dire qu'il a été bien épicé, ou qu'on y ait fait un merveilleux saupiquet, qu'il s'est pu garder si longtemps. Mais, sans risée, est-il à présumer que les apôtres aient fait une relique du poisson qu'ils avaient apprêté pour leur dîner?
partout où il y a église qui porte les noms [de Saint Pierre ou Saint Paul], il y en a des reliques. Si on demande quelles, qu'on se souvienne de la cervelle de saint Pierre qui était au grand autel de cette ville [de Genève]. Tout ainsi qu'on trouva que c'était une pierre de ponce, ainsi trouverait-on beaucoup d'os de chevaux ou de chiens, qu'on attribue à ces deux apôtres.
Ainsi en est-il des reliques : tout y est si brouillé et confus, qu'on ne saurait adorer les os d'un martyr qu'on ne soit en danger d'adorer les os de quelque brigand ou larron, ou bien d'un âne, ou d'un chien, ou d'un cheval. On ne saurait adorer un anneau de Notre-Dame, ou un sien peigne, ou ceinture, qu'on ne soit en danger d'adorer les bagues de quelque paillarde (prostituée).
Le principal serait d'abolir entre nous chrétiens cette superstition païenne, de canoniser les reliques, tant de Jésus-Christ que de ses saints, pour en faire des idoles.
Le culte des reliques est-il légitime?
Reliques des saints: on laisse le principal pour l'accessoire
Reliques: Bonne dévotion ou superstition et idolatrie?
Selon la chair ou selon l'esprit?
Reliques: contamination insidieuse et progressive
La honte retombe sur les adorateurs de Reliques
la plupart des reliques sont fausses!
Osons examiner les reliques
Echantillon de reliques
Inventaire des reliques
Reliques de Jésus-Christ
Reliques du corps de Jésus-Christ
Sang de Jésus-Christ
Reliques touchant au corps du Christ
Reliques du Christ: de l'enfance à sa mort
Reliques de la vraie croix
Reliques des clous de la vraie croix
Reliques du fer de la lance
Reliques de la couronne d'épines
La robe de pourpre
Le saint suaire
Autres reliques et moqueries touchant le Christ
Reliques d'après la résurrection
sang des hosties miraculeuses
Empreintes du Christ
Images du Christ
Crucifix miraculeux
Larmes miraculeuses
Reliques de la sainte Vierge Marie
Lait de la Vierge
Habits de la sainte vierge
Images de la Vierge
Reliques de Saint Michel
Reliques de Saint Jean Baptiste
Reliques des saints apôtres
Reliques de saint Pierre et saint Paul
Autres reliques de Saint Pierre et Saint Paul
Reliques des autres apôtres
Autre saints du temps du Seigneur
Reliques de Sainte-Anne
Reliques de Saint Lazare et de la Madeleine
Reliques des anciens martyrs
Reliques de Saint Denis
Reliques de Saint Etienne
Reliques des innocents
Reliques de Saint Laurent
Reliques de Saint Gervais et saint Protais
Reliques de Saint Sébastien
Reliques de Saint Antoine
Reliques de diverses Saintes
Reliques de saints vulgaires
Reliques de saints de l'ancien Testament
Conclusion
AVERTISSEMENT TRÉS-UTILE DU GRAND PROFIT QUI REVIENDRAIT A LA CHRÉTIENTÉ
s'il se faisait inventaire de tous les corps saints et reliques
QUI SONT TANT EN ITALIE QU'EN FRANCE, ALLEMAGNE, ESPAGNE ET AUTRES ROYAUMES ET PAYS
Saint Augustin, au livre qu'il a intitulé: Du Labeur des Moines, se complaignant d'aucuns (de quelques) porteurs de rogatons (restes), qui déjà de son temps exerçaient foire vilaine et déshonnête, portant ça et là des reliques de martyrs, ajoute, « voire si ce sont reliques de martyrs. » Par lequel mot il signifie que dès lors il se commettait de l'abus et tromperie, en faisant croire au simple peuple que des os recueillis ça et là étaient os des saints. Puisque l'origine de cet abus est si ancienne, il ne faut douter qu'il n'ait bien été multiplié cependant, par si longtemps: même, vu que le monde s'est merveilleusement corrompu depuis ce temps-là, et qu'il est décliné toujours en empirant, jusqu'à ce qu'il est venu en l'extrémité où nous le voyons. Or, le premier vice, et comme la racine du mal, a été, qu'au lieu de chercher Jésus-Christ en sa parole, en ses sacrements et en ses grâces spirituelles, le monde, selon sa coutume, s'est amusé à ses robes, chemises et drapeaux; et en ce faisant a laissé le principal, pour suivre l'accessoire. Semblablement a-t-il fait des apôtres, martyrs et autres saints. Car au lieu de méditer leur vie, pour suivre leur exemple, il a mis toute son étude à contempler et tenir comme en trésor leurs os, chemises, ceintures, bonnets, et semblables fatras.
Je sais bien que cela a quelque espèce et couleur de bonne dévotion et zèle, quand on allègue qu'on garde les reliques de Jésus-Christ pour l'honneur qu'on lui porte, et pour en avoir meilleure mémoire, et pareillement des saints; mais il fallait considérer ce que dit saint Paul, que tout service de Dieu inventé en la tête de l'homme, quelque apparence de sagesse qu'il ait, n'est que vanité et folie, s'il n'a meilleur fondement et plus certain, que notre semblant. Outre plus, il fallait contre-peser le profit qui en peut venir, avec le danger; et en ce faisant, il se fût trouvé que c'était une chose bien peu utile, ou du tout superflue et frivole, que d'avoir ainsi des reliquaires : au contraire, qu'il est bien difficile, ou du tout impossible, que de là on ne décline petit à petit à idolâtrie. Car on ne se peut tenir de les regarder et manier sans les honorer; et en les honorant, il n'y a nulle mesure qu'incontinent on ne leur attribue l'honneur qui était dû à Jésus-Christ. Ainsi, pour dire en bref ce qui en est, la convoitise d'avoir des reliques n'est quasi jamais sans superstition, et, qui pis est, elle est mère d'idolâtrie, laquelle est ordinairement conjointe avec.
Chacun confesse que ce qui a ému notre Seigneur à cacher le corps de Moïse, a été de peur que le peuple d'Israël n'en abusât en l'adorant. Or, s'il convient étendre ce qui à été fait en un saint, à tous les autres, vu que c'est une même raison. Mais encore que nous laissions là les saints, avisons que dit saint Paul de Jésus-Christ même. Car il proteste de ne le connaitre plus selon la chair, après sa résurrection, admonestant par ces mots que tout ce qui est charnel en Jésus-Christ se doit oublier et mettre en arrière, alin d'employer et mettre toute notre affection à le chercher et posséder selon l'esprit. Maintenant donc, de prétendre que c'est une belle chose d'avoir quelque mémorial, tant de lui que des saints, pour nous inciter à dévotion, qu'est-ce sinon une fausse couverture pour farder notre folle cupidité, qui n'est fondée en nulle raison? Et même quand il semblerait avis que cette raison fut suffisante, puisqu'elle répugne ouvertement à ce que le Saint-Esprit a prononcé par la bouche de saint Paul, que voulons-nous plus?
Combien qu'il n'est là métier de faire longue dispute sur ce point, à savoir s'il est bon ou mauvais d'avoir des reliques, pour les garder seulement comme choses précieuses, sans les adorer. Car, ainsi que nous avons dit, l'expérience montre que l'un n'est presque jamais sans l'autre. Il est bien vrai que saint Ambroise, parlant d'Hélène, mère de Constantin, empereur, laquelle avec grand' peine et gros dépens chercha la croix de notre Seigneur, dit qu'elle n'adora, sinon le Seigneur qui y avait pendu, et non pas le bois; mais c'est une chose bien rare, d'avoir le cœur adonné à quelque relique que ce soit, qu'on ne se contamine et pollue quand et quand de quelque superstition. Je confesse qu'on ne vient pas du premier coup à idolâtrie manifeste; mais petit à petit on vient, d'un abus à l'autre, jusqu'à ce qu'on trébuche en l'extrémité. Tant y a que le peuple qui se dit chrétien en est venu jusques-là, qu'il a pleinement idolâtré en cet endroit, autant que firent jamais païens. Car on s'est prosterné et agenouillé devant les reliques, tout ainsi que devant Dieu; on leur a allumé torches et chandelles en signe d'hommage : on y a mis sa confiance; on a là eu son recours, comme si la vertu et la grâce de Dieu y eût été enclose (contenue). Si l'idolâtrie n'est sinon transférer l'honneur de Dieu ailleurs, nierons-nous que cela ne soit idolâtrie ? Et ne faut excuser que ç'a été un zèle désordonné de quelques rudes et idiots, ou de simples femmes. Car ç'a été un désordre général, approuvé de ceux qui avaient le gouvernement et conduite de l'Église; et même on a colloqué les os des morts et toutes autres reliques sur le grand autel, au lieu le plus haut et le plus éminent, pour les faire adorer plus authentiquement. Voilà donc comme la folle curiosité qu'on a eue du commencement à faire trésor de reliques, est venue en cette abomination tout ouverte, que non-seulement on s'est détourné du tout de Dieu, pour s'amuser à choses corruptibles et vaines, mais que, par sacrilège exécrable, on a adoré les créatures mortes et insensibles, au lieu du seul Dieu vivant.
Or, comme un mal n'est jamais seul, qui n'en attire un autre, cette malheurté est survenue depuis qu'on a reçu pour reliques, tant de Jésus-Christ que de ses saints, je ne sais quelles ordures, où il n'y a ni raison ni propos; et que le monde a été si aveugle, que quelque titre qu'on imposât à chacun fatras qu'on lui présentait, il l'a reçu sans jugement ni inquisition aucune. Ainsi, quelques os d'âne ou de chien, que le premier moqueur ait voulu mettre en avant pour os de martyr, on n'a point fait difficulté de les recevoir bien dévotement. Autant en a-t-il été de tout le reste, comme il sera traité ci-après. De ma part, je ne doute pas que ce n'ait été une juste punition de Dieu. Car puisque le monde était enragé après les reliques, pour en abuser en superstition perverse, c'était bien raison que Dieu permît qu'après un mensonge un autre survînt. C'est ainsi qu'il a accoutumé de se venger du déshonneur qui est fait à son nom, quand on transporte sa gloire ailleurs. Pourtant, ce qu'il y a tant de fausses reliques et controuvées partout, cela n'est venu d'autre cause, sinon que Dieu a permis que le monde fût doublement trompé et déçu, puisqu'il aimait tromperie et mensonge. C'était l'office des chrétiens, de laisser les corps des saints en leur sépulcre pour obéir à cette sentence universelle, que tout homme est poussière et retournera en poussière : non pas de les élever en pompe et somptuosité, pour faire une résurrection devant le temps. Cela n'a pas été entendu, mais au contraire, contre l'ordonnance de Dieu on a déterré les corps des fidèles pour les magnifier en gloire, au lieu qu'ils devaient être en leurs couches et lieu de repos, en attendant le dernier jour. On a appélé de les avoir, et a-t-on là mis sa fiance : on les a adorés, on leur a fait tous signes de révérence. Et qu'en est-il advenu? Le diable, voyant telle stupidité, ne s'est point tenu content d'avoir déçu le monde en une sorte, mais a mis en avant cette autre déception, de donner titre de reliques des saints à ce qui était du tout profane. Et Dieu, par sa vengeance, a ôté sens et esprit aux incrédules: tellement que, sans enquérir plus outre, ils ont accepté tout ce qu'on leur présentait, sans distinguer entre le blanc ou le noir.
Or, pour le présent, mon intention n'est pas de traiter quelle abomination c'est d'abuser des reliques, tant de notre Seigneur Jésus que des saints, en telle sorte qu'on a fait jusqu'à cette heure, et comme on a fait en la plupart de la chrétienté, car il faudrait un livre propre pour déduire cette matière. Mais pource que c'est une chose notoire, que la plupart des reliques qu'on montre partout sont fausses, et ont été mises en avant par moqueries, qui ont impudemment abusé le pauvre monde; je me suis avisé d'en dire quelque chose, afin de donner occasion à un chacun d'y penser et prendre garde. Car, quelquefois nous approuvons une chose à l'étourdie, d'autant que noire esprit est préoccupé, tellement que nous ne prenons le loisir d'examiner ce qui en est, pour asseoir bon et droit jugement, et ainsi nous faillons par faute d'avis. Mais quand on nous avertit, nous commençons à y penser, et sommes tout ébahis comment nous avons été si faciles et légers à croire ce qui n'était nullement probable. Ainsi en est-il advenu en cet endroit; car par faule d'avertissement, chacun étant préoccupé de ce qu'il ouit dire, Voilà le corps d'un tel saint, voilà ses souliers, voilà ses chausses, se laisse persuader qu'ainsi est. Mais quand j'aurai remontré évidemment la fraude qui s'y commet, quiconque aura un petit de prudence et raison, ouvrira lors les yeux et se mettra à considérer ce qui jamais ne lui était venu en pensée.
Combien que je ne puis pas faire en ce livret ce que je voudrais bien, car il serait besoin d'avoir registres de toutes parts, pour savoir quelles reliques on dit qu'il y a en chacun lieu, afin d'en faire comparaison. Et alors on connoîtrait que chacun apôtre aurait plus de quatre corps, et chacun saint pour le moins deux ou trois; autant en serait-il de tout le reste. Bref, quand on aurait tout amassé en un monceau, il n'y aurait celui qui ne fût étonné, voyant la moquerie tant sotte et lourde, laquelle néanmoins a pu aveugler toute la terre. Je pensais que puisqu'il n'y a si petite église cathédrale qui n'ait comme une fourmilière d'ossements, et autres tels menus fatras, que serait-ce si on assemblait toute la multitude de deux ou trois mille évêchés, de vingt ou trente mille abbayes, de plus de quarante mille couvents, de tant d'églises paroissiales et de chapelles? Mais encore le principal serait de les visiter, et non pas nommer seulement; car on ne les connoît point loutes à nommer. En cette ville on avait, ce disait-on, le temps passé, un bras de saint Antoine : quand il était enchâssé, on le baisait et adorait:'quand on le mit en avant, on trouva que c'était le membre d'un cerf. Il y avait au grand autel de la cervelle de saint Pierre. Pendant qu'elle était enchâssée, on n'en faisait nul doute; car c'eût été un blasphème de ne s'en fier au billet. Mais quand on éplucha le nid, et on y regarda de plus près, on trouva que c'était une pierre de ponce. Je pourrais raconter beaucoup de semblables exemples, mais ceux-ci suffiront pour donner à entendre combien on découvrirait d'ordure si on faisait une fois une bonne Visitation universelle de toutes les reliques d'Europe : voire avec prudence pour savoir discerner.Car plusieurs, en regardant un reliquaire, ferment les yeux par superstition; afin, en voyant, de ne voir goutte, c'est-à-dire qu'ils n'osent pas jeter l'œil à bon escient pour considérer ce que c'est. Ainsi que plusieurs qui se vantent d'avoir vu le corps de saint Claude tout entier, ou d'un autre saint, n'ont jamais eu cette hardiesse de lever la vue pour regarder que c'était. Mais celui qui aurait la liberté de voir le secret, et l'audace d'en user, en saurait bien à dire autrement. Autant en est-il de la tête de la Magdeleine (Marie-Madeleine) qu'on montre près de Marseille, avec le morceau de pâte ou de cire attaché sur l'œil. On en fait un trésor, comme si c'était un dieu descendu du ciel. Mais si on en faisait l'examen, on trouverait clairement la fourbe (tromperie).
Ce serait donc une chose à désirer, que d'avoir certitude de toutes les fariboles qu'on tient ça et là pour reliques, ou bien au moins, d'en avoir un registre et dénombrement, pour montrer combien il y en a de fausses. Mais puisqu'il n'est possible de ce faire, je souhaiterais d'avoir seulement l'inventaire de dix ou douze villes, comme de Paris, Toulouse, Rheims et Poitiers. Quand je n'aurais que cela, si verrait-on encore de merveilleuses garennes, ou pour le moins ce serait une boutique bien confuse. Et est un souhait que j'ai accoutumé de faire souvent, que de pouvoir recouvrer un tel répertoire. Toutefois, pource que cela me serait aussi trop difficile, j'ai pensé à la fin qu'il valait mieux donner ce petit avertissement qui s'ensuit, afin de réveiller ceux qui dorment, et les faire penser que ce peut être du total, quand en une bien petite portion il se trouve tant à redire. J'entends quand on aura trouvé tant de mensonges en ce que je nommerai des reliquaires, qui n'est pas à peu près la millième partie de ce qui s'en montre, que pourra-t-on estimer du reste ? Davantage, s'il apparait que celles qu'on a tenues pour les plus certaines aient été frauduleusement controuvées, que pourra-t-on penser des plus douteuses ? Et plût à Dieu que les princes chrétiens pensassent un petit à cela, car leur office serait de ne permettre point leurs pauvres sujets être ainsi séduits, non-seulement par fausse doctrine, mais visiblement en'leur faisant croire que vessies de béliers font lanternes, comme dit le proverbe. Car ils auront à rendre compte à Dieu de leur dissimulation, s'ils se taisent en le voyant, et leur sera une faute bien chèrement vendue, que d'avoir permis qu'on se moquât de Dieu, où ils pouvaient donner remède. Quoi qu'il en soit, j'espère que ce petit Traité servira à tous, donnant occasion à un chacun dépenser en son endrait à ce que le titre porte. C'est que si on avait un rôle de toutes les reliques du monde, qu'on verrait clairement combien on aurait été aveuglé par ci-devant, et quelles ténèbres et stupidité il y aurait eu par toute la terrè.
Commençons donc par Jésus-Christ, duquel, pource qu'on ne pouvait dire qu'on eût le corps naturel (car du corps miraculeux, ils ont bien trouvé la façon de le forger, voire en tel nombre, et toutes fois et quantes que bon leur semblerait), on a amassé, au lieu, mille autres fatras, pour suppléer ce défaut. Combien encore qu'on n'a point laissé échapper le corps de Jésus-christ sans en retenir quelque lopin. Car outre les dents et les cheveux, l'abbaye de Charroux, au diocèse de Poitiers, se vante d'avoir le prépuce, c'est-à-dire la peau qui lui fut coupée à la circoncision. Je vous prie, d'où est-ce que leur est venue cette peau? L'Evangéliste saint Luc raconte bien que notre Seigneur Jésus a été circoncis; mais que la peau ait été serrée, pour la réserver en relique, il n'en fait point de mention. Toutes les histoires anciennes n'en disent mot. Et par l'espace de cinq cents ans il n'en a jamais été parlé en l'Église chrétienne; où est-ce donc qu'elle était cachée, pour la retrouver si soudainement? Davantage, comment eût-elle volé jusques à Charroux? Mais pour l'approuver, ils disent qu'il en est tombé quelques gouttes de sang. Cela est leur dire, qui aurait métier de probation. Par quoi on voit bien que ce n'est qu'une moquerie. Toutefois, encore que nous leur concédions que la peau qui fut coupée à Jésus-Christ ait été gardée, et qu'elle puisse être ou là, ou ailleurs, que dirons-nous du prépuce qui se montre à Rome, à Saint-Jean de Latran ? Il est certain que jamais il n'y en a eu qu'un. Il ne peut donc être à Rome et à Charroux tout ensemble. Ainsi, voilà une fausseté toute manifeste.
Il y a puis après le sang, duquel il y a eu grands combats. Car plusieurs ont voulu dire qu'il ne se trouvait point du sang de Jésus-Christ, sinon miraculeux. Néanmoins il s'en trouve de naturel en plus de cent lieux. En un lieu quelques gouttes, comme à La Rochelle, en Poitou, que recueillit Nicodème en son gant, comme ils disent. En d'autres lieux, des fioles pleines, comme à Matouë, et ailleurs. En d'autres, à pleins gobelets, comme à Rome, à Saint-Eustace. Même on ne s'est pas contenté d'avoir du sang simple, mais il l'a fallu avoir mêlé avec l'eau, comme il saillit de son côté quand il fut percé en la croix. Cette marchandise se trouve en l'église de Saint-Jean de Latran, à Rome. Je laisse le jugement à chacun, quelle certitude on en peut avoir. Et même, si ce n'est pas mensonge évident, de dire que le sang de Jésus-Christ ait été trouvé sept ou huit cents ans après sa mort, pour en répandre par tout le monde, vu qu'en l'Eglise ancienne jamais n'en a été faite mention.
Il y a puis après ce qui touche au corps de notre Seigneur : ou bien tout ce qu'ils ont pu ramasser pour faire reliques en sa mémoire, au lieu de son corps. Premièrement, la crèche en laquelle il fut posé à sa nativité, se montre à Rome en l'église Notre-Dame la Majeure. Là même, en l'église Saint-Paul, le drapeau dont il fut enveloppé : combien qu'il y en a quelque lambeau à Saint-Salvador en Espagne. Son berceau est aussi bien à Rome, avec la chemise que lui fit la vierge Marie sa mère. Item, en l'église Saint-Jacques, à Rome, on montre l'autel sur lequel il fut posé au temple à sa présentation, comme s'il y eût eu lors plusieurs autels, ainsi qu'on en fait à la papauté tant qu'on veut. Ainsi en cela ils mentent sans couleur. Voilà ce qu'ils ont eu pour le temps de l'enfance de Jésus-Christ. Il n'est jà métier de disputer beaucoup où c'est qu'ils ont trouvé tout ce bagage, si longtemps depuis la mort de Jésus-Christ. Car il n'y a nul de si petit jugement, qui ne voie la folie. Par toute l'histoire évangélique, il n'y a pas un seul mot de ces choses. Du temps des apôtres, jamais on n'en ouït parler. Environ cinquante ans après la mort de Jésus-Christ, Jérusalem fut saccagée et détruite. Tant de docteurs anciens ont écrit depuis, faisant mention des choses qui étaient de leur temps, même de la croix et des clous qu'Hélène trouva ! De tous ces menus fatras ils n'en disent mot. Qui plus est, du temps de saint Grégoire, il n'est point question qu'il y eût rien de tout cela à Rome, comme on voit par ses écrits. Après la mort duquel Rome a été plusieurs fois prise, pillée et quasi du tout ruinée. Quand tout cela sera considéré, que saurait-on dire autre chose, sinon que tout cela a été controuvé pour abuser le simple peuple ? Et de fait, les cafards, tant prêtres que moines, confessent bien qu'ainsi est, en les appelant piœ fraudes, c'est-à-dire des tromperies honnêtes, pour émouvoir le peuple à dévotion.
Il y a puis après les reliques qui appartiennent au temps qui est depuis l'enfance de Jésus-Christ, jusqu'à sa mort. Entre lesquelles est la colonne où il était appuyé en disputant au temple, avec onze autres semblables du temple de Salomon. Je demande qui c'est qui leur a révélé que Jésus-Christ fût appuyé sur une colonne, car l'évangéliste n'eu parle point en racontant l'histoire de cette dispute. Et n'est pas vraisemblable qu'on lui donnât lieu comme à un prêcheur, vu qu'il n'était pas en estime ni en autorité, ainsi qu'il apparait. Outre plus, je demande, encore qu'il fût appuyé sur une colonne, comment est-ce qu'ils savent que ce fût celle-là ? Tiercement, d'où est-ce qu'ils ont eu ces douze colonnes, qu'ils disent être du temple de Salomon?
Il y a puis après les cruches où était l'eau que Jésus-Christ changea en vin aux noces en Cana de Galilée, lesquelles ils appellent hydries. Je voudrais bien savoir qui en a été le gardien par si longtemps pour les distribuer. Car il nous faut toujours noter cela, qu'elles ont été trouvées seulement huit cents ans ou mille après que le miracle a été fait. Je ne sais point tous les lieux où on les montre. Je sais bien qu'il y en a à Pise, à Ravenne, à Cluuy, à Angers, à Saint-Salvador en Espagne. Mais sans en faire plus long propos, il est facile, par la vue seule, de les convaincre de mensonge. Car les unes ne tiennent point plus de cinq quartes de vin, tout au plus haut; les autres encore moins, et les autres tiennent environ un muids. Qu'on accorde ces flûtes, si on peut; et lors je leur laisserai leurs hydries sans leur en faire controverse. Mais ils n'ont pas été contents seulement du vaisseau (vase), s'ils n'en avaient quand et quand le breuvage. Par à Orléans ils se disent avoir du vin, lequel ils nomment de l'architriclin. Car pource que l'évangélistc saint Jean, récilant le miracle, parle de l'architriclin, qui est à dire maître d'hôtel, il leur a semblé avis que c'était le nom propre de l'époux : et entretiennent le peuple en cette bêtise. Une fois l'an, ils font lécher le bout d'une petite cuiller à ceux qui leur veulent apporter leur offrande, leur disant qu'ils leur donnent à boire du vin que notre Seigneur fit au banquet; et jamais la quantité ne s'en diminue, moyennant qu'on remplisse bien le gobelet. Je ne sais de quelle grandeur sont ces souliers, qu'on dit ètre à Rome au lieu nommé Sancta Sanctorum, et s'il les a portés en son enfance, ou étant déjà homme. Et quand tout est dit, autant vaut l'un que l'autre. Car ce que j'ai déjà dit montre suffisamment quelle impudence c'est de produire maintenant les souliers de Jésus-Christ, que les apôtres mêmes n'ont point eus de leur temps. Venons à ce qui appartient à la Cène dernière que Jésus-Christ fit avec ses apôtres. La table est à Rome, à Saint-Jean de Latran. Il y en a du pain à Saint-Salvador en Espagne. Le couteau dont fut coupé l'agneau pascal est à Trier. Notez que Jésus-Christ était en un lieu emprunté quand il fit sa Cène. En partant de là, il laissa la table; nous ne lisons point que jamais elle ait été retirée par les apôtres. Jérusalem, quelque temps après, fut détruite, comme nous avons dit. Quelle apparence y a-t-il d'avoir trouvé cette table sept ou huit cents ans après? Davantage, la forme des tables était lors tout autre qu'elle n'est maintenant; car on était couché au repas, et non pas assis, ce qui est expressément dit en l'Evangile. Le mensonge donc est trop patent. Et que faut-il plus? La coupe où il donna le sacrement de son sang à boire à ses apôtres, se montre à Notre-Dame de l'Ile, près de Lyon, et en Albigeois en un certain convent d'augustins. Auquel croira-t-on? Encore est-ce pis du plat où fut mis l'agneau pascal; car il est à Rome, à Gènes, et en Arles. Il faut dire que la coutume de ce temps-là était diverse de la nôtre. Car au lieu qu'on change maintenant de mets, pour un seul mets on changerait de plat: voire si on veut ajouter foi à ces saintes reliques. Voudrait-on une fausseté plus patente? Autant en est-il du linceul duquel Jésus-Christ torcha les pieds de ses apôtres, après les avoir lavés. Il y en a un à Rome à Saint-Jean de Latran, un autre à Aix en Allemagne, à Saint-Corneille, avec le signe du pied de Judas. Il faut bien que l'un ou l'autre soit faux. Qu'en jugerons-nous donc? Laissons-les débattre l'un contre l'autre, jusques à ce que l'une des parties ait vérifié son cas. Cependant, estimons que ce n'est que tromperie de vouloir faire croire que le drap que Jésus-Christ laissa au logis où il fit sa Cène, cinq ou six cents ans après la destruction de Jérusalem, soit volé, ou en Italie, ou en Allemagne. J'avais oublié le pain dont miraculeusement furent repus les cinq mille hommes au désert, duquel on en montre une pièce à Rome, en l'église Notre-Dame la Neuve, et quelque petit à Saint-Salvador en Espagne. Il est dit en l'Ecriture qu'il y eut quelque portion de manne réservée, pour souvenance que Dieu avait nourri miraculeusement le peuple d'Israël au désert. Mais les reliefs qui demeurèrent des cinq pains, l'Evangile ne dit point qu'il en fut rien réservé à telle fin; et n'y a nulle histoire ancienne qui en parle, ni aucun docteur de l'Eglise. Il est donc facile de juger qu'on a pétri depuis ce qu'on en montre maintenant. Autant en faut-il juger du rameau qui est à Saint-Salvador en Espagne. Car ils disent que c'est celui que tenait Jésus-Christ quand il entra en Jérusalem le jour de Pâques-Fleuries. Or, l'Evangile ne dit pas qu'il en tint; c'est donc une chose controuvée. Finalement, il faut mettre en ce rang une autre relique qui se montre là même : c'est de la terre où Jésus-Christ avait les pieds assis quand il ressuscita Lazare. Je vous prie, qui est-ce qui avait si bien marqué la place, qu'après la destruction de Jérusalem, que tout était changé au pays de Judée, on ait pu adresser au lieu où Jésus-Christ avait une fois marché !
Il est temps de venir aux principales reliques de notre Seigneur. Ce sont celles qui appartiennent à sa mort et passion. Et premièrement nous faut dire de sa croix, en laquelle il fut pendu. Je sais qu'on tient pour certain qu'elle fut trouvée d'Hélène, mère de Constantin, empereur romain. Je sais aussi qu'ont écrit aucuns (quelques) docteurs anciens touchant l'approhation pour certifier que la croix qu'elle trouva était sans doute celle même en laquelle Jésus-Christ avait été pendu. De tout cela, je m'en rapporte à ce qui en est. Tant y a que ce fut une folle curiosité à elle, ou une sotte dévotion et inconsidérée. Mais encore, prenons le cas que c'eût été une œuvre louable à elle de mettre peine à trouver la vraie croix, et que notre Seigneur déclara adonc, par miracle, que c'était celle qu'elle trouva; seulement, considérons ce qui en est de noire temps. On tient que cette croix que trouva Hélène est encore en Jérusalem; et de cela, nul n'en doute. Combien que l'histoire ecclésiastique y contredit notamment. Car il est là raconté qu'Hélène en prit une partie pour envoyer à l'empereur son fils, lequel la mit à Constantinople, sur une colonne de porphyre, au milieu du marché; de l'autre partie, il est dit qu'elle l'enferma en un étui d'argent, et la bailla en garde à l'évêque de Jérusalem. Ainsi, ou nous arguerons l'histoire de mensonge, ou ce qu'on tient aujourd'hui de la vraie croix est une opinion vaine et frivole. Or, avisons d'autre part combien il y eu a de pièces par tout le monde. Si je ne voulais raconter seulement ce que j'en pourrais dire, il y aurait un rôle pour remplir un livre entier. Il n'y a si petite ville où il n'y en ait, non-seulement en église cathédrale, mais en quelques paroisses. Pareillement, il n'y a si méchante abbaye où l'on n'en montre. Et en quelques lieux, il y en a de bien gros éclats : comme à la Sainte-Chapelle de Paris, et à Poitiers et à Rome, où il y a un crucifix assez grand qui en est fait, comme l'on dit. Bref, si on voulait ramasser tout ce qui s'en est trouvé, il y en aurait la charge d'un bon grand bateau. L'Evangile testifie que la croix pouvait être portée d'un homme. Quelle audace donc a-ce été de remplir la terre de pièces de bois en telle quantité que trois cents hommes ne les sauraient porter ! Et de fait, ils ont forgé cette excuse que, quelque chose qu'on en coupe, jamais elle n'en décroît. Mais c'est une bourde si sotte et lourde, que même les superstitieux la connaissent. Je laisse donc à penser quelle certitude on peut avoir de toutes les vraies croix qu'on adore çà et là. Je laisse à dire d'où c'est que sont venues certaines pièces, et par quel moyen. Comme les uns disent que ce qu'ils en ont leur a été porté par les anges; les autres, qu'il leur est tombé du ciel. Ceux de Poitiers racontent que ce qu'ils en ont fut apporté par une demoiselle d'Hélène, laquelle l'avait dérobé; et comme elle s'enfuyait, se trouva égarée auprès de Poitou. Ils ajoutent à la fable, qu'elle était boiteuse. Voilà les beaux fondements qu'ils ont pour persuader le pauvre peuple à idolâtrer. Car ils n'ont pas été contents de séduire et abuser les simples en montrant du bois commun au lieu du bois de la croix; mais ils ont résolu qu'il le fallait adorer, qui est une doctrine diabolique. Et saint Ambroise nommément l'a réprouvée, comme superstition de païens.
Après la croix s'ensuit le titre, que fit mettre Pilate, où il avait écrit : Jésus Nazaréen, roi des Juifs. Mais il faudrait savoir et le lieu et le temps, et comment c'est qu'on l'a trouvé. Quelqu'un me dira que Socrate, historien de l'Eglise, en fait mémoire. Je le confesse. Mais il ne dit point qu'il est devenu. Ainsi, ce témoignage n'est pas de grande valeur. Davantage, ce fut une écriture faite à la hâte, et sur-le-champ après que Jésus-Christ fut crucifié. Pour tant de montrer un tableau curieusement fait, comme pour tenir en montre, il n'y a nul propos. Ainsi, quand il n'y en aurait qu'un seul, on le pourrait tenir pour une fausseté et fiction. Mais quand la ville de Toulouse se vante de l'avoir, et ceux de Rome y contredisent, le montrant en l'église de Sainte-Croix, ils se démentent l'un l'autre. Qu'ils se combattent donc tant qu'ils voudront : en la fin, toutes les deux parties seront convaincues de mensonge, quand on voudra examiner ce qui en est.
Encore, y a-t-il plus grand combat des clous. Je raconterai ceux qui sont venus à ma notice. Sur cela, il n'y aura si petit enfant qui ne juge que le diable s'est par trop moqué du monde, en lui ôtant sens et raison, pour ne pouvoir rien discerner en cet endroit. Si les anciens écrivains disent vrai, et nommément Théodorite, historien de l'Eglise ancienne, Hélène en fit enclaver un au heaume de son fils; des deux autres, elle les mit au mors de son cheval. Combien que saint Ambroise ne dit pas du tout ainsi, car il dit que l'un fut mis à la couronne de Constantin; de l'autre, le mors de son cheval en fut fait; le troisième, qu'Hélène le garda. Nous voyons qu'il y a déjà plus de douze cents que cela était en différend, que c'est que les clous étaient devenus. Quelle certitude en peut-on donc avoir à présent? Or, à Milan, ils se vantent d'avoir celui qui fut posé au mors du cheval de Constantin. A quoi la ville de Carpentras s'oppose, disant que c'est elle qui l'a. Or, saint Ambroise ne dit pas que le clou fût attaché au mors, mais que le mors en fut fait. Laquelle chose ne se peut nullement accorder avec ce que disent tant ceux de Milan que ceux de Carpentras. Après, il y en a un à Rome, à Sainte-Hélène; un autre là même, en l'église Sainte-Croix; un autre à Séne, un autre à Venise; en Allemagne, deux; un à Cologne, aux Trois-Maries; l'autre à Trier. En France, un à la Sainte-Chapelle de Paris; l'autre aux Carmes; un autre à Saint-Denis en France; un à Bourges; un à la Tenaille; un à Draguignan. En voilà quatorze de compte fait. Chacun lieu allègue bonne approbation en son endroit, ce lui semble. Tant y a que chacun a aussi bon droit que les autres. Pourtant, il n'y a meilleur moyen que de les faire passer tous sous un Fidelium: c'est de réputer que tout ce qu'on en dit n'est que mensonge, puisqu'autrement on n'en peut venir à bout.
S'ensuit le fer de la lance, qui ne pouvait être qu'un; mais il faut dire qu'il est passé par les fourneaux de quelque alchimiste : car il s'est multiplié en quatre, sans ceux qui peuvent être çà et là, dont je n'ai point ouï parler. Il y en a un à Rome, l'autre à la Sainte-Chapelle de Paris, le troisième en l'abbaye de la Tenaille, en Saintonge; le quatrième à la Selve, près de Bordeaux. Lequel est-ce qu'on choisira maintenant pour vrai? Pourtant, le plus court, c'est de les laisser tous quatre pour tels qu'ils sont. Mais encore, quand il n'y en aurait qu'un seul, si voudrais-je bien savoir d'où il est venu : car les histoires anciennes, ni aussi tous les autres écrits, n'en font nulle mention. Il faut donc qu'ils aient été forgés de nouveau.
Touchant de la couronne d'épines, il faut dire que les pièces en ont été replantées pour reverdir; autrement, je ne sais comment elle pourrait être ainsi augmentée. Pour un item, il y en a la troisième portion en la Sainte-Chapelle de Paris; à Rome, en l'église Sainte-Croix, il y en a trois épines; en l'église Saint-Eustace, de Rome même, quelque quantité; à Séne, je ne sais qualites épines; à Vicencc, une; a Bourges, cinq; à Besançon, en l'église de Saint-Jean, trois; à Mont-Royal, trois; à Saint-Salvador en Espagne, je ne sais combien; à Saint-Jacques, en Galice, deux; à Alhi, trois; à Toulouse, à Màcon, à Charroux en Poitou, à Cléri,à Saint-Flour, à Saint-Maximin en Provence, en l'abbaye de la Salle, en l'église paroissiale de St-Martin à Noyon : en chacun de tous ces lieux, il y en a pour le moins une. Quand on aurait fait diligente inquisition, on en pourrait nommer plus de quatre fois autant. Nécessairement on voit qu'il y a là de fausseté. Quelle fiance donc peut-on avoir ni des unes ni des autres? Avec ce, il est à noter que, en toute l'Eglise ancienne, jamais on ne sut à parler que cette couronne était devenue. Par quoi il est aisé de conclure que la première plante a commencé à jeter longtemps après la passion de notre Seigneur Jésus-Christ.
Il y a puis après la robe de pourpre, de laquelle Pilate vêtit notre Seigneur par dérision, d'autant qu'il s'était appelé roi. Or, c'était une robe précieuse, qui n'était pas pour jeter à l'abandon : et n'est pas à présumer que Pilate ou ses gens la laissassent perdre, après s'être moqués pour une fois de notre Seigneur Jésus. Je voudrais bien savoir qui a été le marchand qui l'acheta de Pilate, pour la garder en reliquaire. Et pour mieux colorer leur bourde, ils montrent quelques gouttes de sang dessus, comme si les méchants eussent voulu gâter une robe royale, en la mettant par risée sur les épaules de Jésus-Christ. Je ne sais pas s'il y en a quelqu'une aussi bien ailleurs. Mais de la robe qui était tissue de haut en bas sans couture, sur laquelle fut jeté le sort, pource qu'elle semblait plus propre à émouvoir les simples à dévotion, il s'en est trouvé plusieurs; car, à Argenteuil, près de Paris, il y en a une, et à Trier une autre. Et si la bulle de Saint-Salvador en Espagne dit vrai, les chrétiens, par leur zèle inconsidéré, ont fait pis que ne firent les gendarmes incrédules. Car iceux n'osèrent la déchirer en pièces, mais pour l'épargner mirent le sort dessus, et les chrétiens l'ont, dépecée pour l'adorer. Mais encore, que répondront-ils au Turc qui se moque de leur folie, disant qu'elle est entre ses mains? Combien qu'il n'est jà métier de les faire plaider contre le Turc; il suffit qu'entre eux ils vident leur débat. Cependant nous serons excusés de ne croire ni à l'un ni à l'autre, de peur de favoriser à l'une des parties plus qu'à l'autre, sans connoissance de cause; car cela serait contre toute raison. Qui plus est, s'ils veulent qu'on ajoute foi à leur dire, il est requis, en premier lieu, qu'ils s'accordent avecques les évangélistes. Or, est-il ainsi, que cette robe, sur laquelle le sort fut jeté, était un saye ou un hoqueton, que les Grecs appellent choeton, et les Latins tunica. Qu'on regarde si la robe d'Argenteuil, ou celle de Trier, ont telle forme; on trouvera que c'est comme une chasuble. Ainsi, encore qu'ils crevassent les yeux aux gens, si connoîtrait-on leur fausseté en tàtant des mains. Pour faire fin à cet article, je demanderais volontiers une petite question. Ce que les gendarmes ont divisé entre eux les vêtements de Jésus-Christ, comme l'Écriture témoigne, il est certain que c'était pour s'en servir à leur profit; qu'ils me sachent à dire, qui a été le chrétien qui les ait rachetés des gendarmes, tant le saye que les autres vêtements qui se montrent en d'autres lieux, comme à Rome en l'église Saint-Eustace, et ailleurs. Comment est-ce que les évangélistes ont oublié cela? car c'est une chose absurde, de dire que les gendarmes ont butiné ensemble les vêtements, sans ajouter qu'on les a rachetés de leurs mains, pour en faire des reliques. Davantage, comment est-ce que tous ceux qui ont écrit anciennement, ont été si ingrats de n'en sonner mot? Je leur donne terme à me répondre sur ces questions, quand les hommes n'auront plus sens ni entendement pour juger. Le meilleur est qu'avec la robe ils ont aussi bien voulu avoir les dés, dont le sort fut jeté par les gendarmes. L'un est à Trier, et deux autres à Saint-Salvador en Espagne. Or, en cela ils ont naïvement démontré leur ânerie; car les évangélistes disent que les gendarmes ont jeté le sort, qui se tirait adonc d'un chapeau ou d'un bocal, comme quand on veut faire le roi de la fève, ou bien quand on joue à la bluncque. Bref, on sait que c'est jeter aux lots. Cela se fait communément en partages. Ces bêtes ont imaginé que le sort était jeu de dés, lequel n'était pas adoncques en usage, au moins tel que nous l'avons de notre temps; car, au lieu de six et as, et autres points, ils avaient certaines marques, lesquelles ils nommaient par leurs noms : comme Vénus ou Chien. Qu'on aille maintenant baiser les reliques au crédit de si lourds menteurs.
Il est temps de traiter du suaire, auquel ils ont encore mieux montré tant leur impudence que leur sottise. Car outre le suaire de la Véronique, qui se montre à Rome en l'église de Saint-Pierre, et le couvre-chef que la Vierge Marie, comme ils disent, mit sur les parties honteuses de notre Seigneur, qui se montre à Saint-Jean de Latran, lequel aussi bien est derechef aux Augustins de Carcassonne; item, le suaire qui fut mis sur sa tête au sépulcre, qui se montre là même; il y a une demi-douzaine de villes, pour le moins, qui se vantent d'avoir le suaire de la sépulture tout entier; comme Nice, celui qui a été transporté là de Chambéry; item, Aix en Allemagne; item, le Traict; item, Besançon; item, Cadoin en Limousin; item, une ville de Lorraine, assise au port d'Aussois; sans les pièces qui en sont dispersées d'un côté et d'autre; comme à Saint-Salvador en Espagne, et aux Augustins d'Albi. Je laisse encore un suaire entier qui est à Rome en un monastère de femmes, pource que le pape a défendu de le montrer solennellement. Je vous prie, le monde n'a-t-il pas été bien enragé, de trotter cent ou six vingt lieues loin, avec gros frais et grande peine, pour voir un drapeau duquel il ne pouvait nullement être assuré, mais plutôt était contraint d'en douter? Car quiconque estime le suaire être en un certain lieu, il fait faussaires tous les autres qui se vantent de l'avoir; comme pour exemple : celui qui croit que le drapeau de Chambéry soit le vrai suaire, celui-là condamne ceux de Besançon, d'Aix, de Cadoin, de Trier et de Rome, comme menteurs, et qui font méchamment idolâtrer le peuple en le séduisant et lui faisant croire qu'un drapeau profane est le linceul où fut enveloppé son Rédempteur. Venons maintenant à l'Évangile; car ce serait peu de chose qu'ils se démentissent l'un l'autre, mais le Saint-Esprit leur contredisant à tous, les rend tous ensemble confondus, autant les uns que les autres. Pour le premier, c'est merveille que les évangélistes ne font nulle mention de cette Véronique, laquelle toucha la face de Jésus-Christ d'un couvre-chef, vu qu'ils parlent de toutes les femmes lesquelles l'accompagnèrent à la croix. C'était bien une chose notable et digne d'être mise en registre, que la face de Jésus-Christ eût été miraculeusement imprimée en un linceul. Au contraire, il semble avis que cela n'emporte pas beaucoup, de dire que certaines femmes ayant accompagné Jésus-Christ à la croix, sans qu'il leur soit advenu aucun miracle. Comment est-ce doncques que les évangélisles racontent des choses menues et de légère importance, se taisant des principales? Certes, si un tel miracle avait été fait, comme on fait croire, il nous faudrait accuser le Saint-Esprit d'oubliance ou d'indiscrétion, qu'il n'aurait su prudemment élire ce qui était le plus expédient de raconter. Cela est pour leur Véronique, afin qu'on connoisse combien c'est un mensonge évident, de ce qu'ils en veulent persuader. Quant est du suaire auquel le corps fut enveloppé, je leur fais une semblable demande : les évangélistes racontent diligemment les miracles qui furent faits à la mort de Jésus-Christ, et ne laissent rien de ce qui appartient à l'histoire; comment est-ce que cela leur est échappé, de ne sonner mot d'un miracle tant excellent, c'est que l'effigie du corps de notre Seigneur Jésus était demeurée au linceul auquel il fut enseveli? Cela valait bien autant d'être dit comme plusieurs autres choses. Même l'évangéliste saint Jean déclare comment saint Pierre étant entré au sépulcre, vit les linges de la sépulture, l'un d'un côté, l'autre d'autre. Qu'il y eût aucune pourtraiture miraculeuse, il n'en parle point. Et n'est pas à présumer qu'il eût supprimé une telle œuvre de Dieu, s'il en eût été quelque chose. Il y a encore un autre doute à objecter; c'est que les évangélistes ne parlent point que nul des disciples, ni les femmes fidèles, aient transporté les linceuxdont il est question, hors du sépulcre; mais plutôt ils donnent à connaître qu'ils les ont ont là laissés, combien qu'ils ne l'expriment pas. Or, le sépulcre était gardé des gendarmes, qui eurent depuis le linceul en leur puissance. Est-il à présumer qu'ils le baillassent à quelque fidèle pour en faire des reliques? vu que les Pharisiens les avaient corrompus pour se parjurer, disant que les disciples avaient dérobé le corps? Je laisse à les rédarguer de fausseté par la vue même des pourtraitures qu'ils en montrent; car il est facile à voir que ce sont peintures faites de main d'homme. Et ne me suis assez ébahir, premièrement comme ils ont été si lourdauds, de ne point avoir meilleure astuce pour tromper; et encore plus comment le monde a été si niais de se laisser ainsi éblouir les yeux, pour ne voir point une chose tant évidente. Qui plus est, ils ont bien montré qu'ils avaient les peintres à commandement. Car quand un suaire a été brûlé, il s'en est toujours trouvé un nouveau le lendemain. On disait bien que c'était celui-là même qui avait été auparavant, lequel s'était par miracle sauvé du feu; mais la peinture était si fraîche, que le mentir n'y valait rien, s'il y eut eu des yeux pour regarder. Il y a, pour faire fin, une raison péremptoire, par laquelle ils sont du tout convaincus de leur impudence. Partout où ils se disent avoir le saint suaire, ils montrent un grand linceul qui couvrait tout le corps avec la tête; et voit-on là l'effigie d'un corps tout d'un tenant. Or, l'évangéliste saint Jean dit que Jésus-Christ fut enseveli à la façon des Juifs. Et quelle était cette façon, non-seulement on le peut entendre parla coutume que les Juifs observent encore aujourd'hui, mais aussi par leurs livres, qui montrent assez l'usage ancien : c'est d'envelopper à part le corps jusques aux épaules, puis envelopper la tête dedans un couvre-chef, le liant aux quatre coins. Ce qu'aussi l'évangéliste exprime, quand il dit que saint Pierre vit les linges d'un côté, où le corps avait été enveloppé; et d'un autre côté le suaire qui avait été posé sur la tête. Car telle est la signification de ce mot de suaire, de le prendre pour un mouchoir, ou couvre-chef, et non pas pour un grand linceul qui serve à envelopper le corps. Pour conclure brièvement, il faut que l'évangéliste saint Jean soit menteur, ou bien que tous ceux qui se vantent d'avoir le saint suaire soient convaincus de fausseté, et qu'on voie ouvertement qu'ils ont séduit le pauvre peuple par une impudence trop extrême.
Ce ne serait jamais fait, si je voulais poursuivre par le menu toutes les moqueries dont ils usent. On montre à Rome, à Saint-Jean de Latran, le roseau qui fut mis en la main de Jésus-Christ, au lieu d'un sceptre, quand ou le battait par moquerie, en la maison de Pilate. Là même, en l'église Sainte-Croix, on montre l'éponge avec laquelle on lui mit en la bouche le fiel et la myrrhe. Je vous prie, où est qu'on les a recouvrés? C'étaient les infidèles qui les avaient entre les mains. Les ont-ils délivrés aux apôtres, pour en faire des reliques ? Les ont-ils eux-mêmes enserrés, pour les conserver au temps à venir? Quel sacrilège est-ce, d'abuser ainsi du nom de Jésus-Christ, pour couvrir des fables tant froidement forgées? Autant en est-il des deniers que Judas reçut pour avoir trahi notre Seigneur. Il est dit en l'Évangile qu'il les rendit en la synagogue des Pharisiens, et puis, on en acheta un champ pour ensevelir les étrangers. Qui est-ce qui a retiré ces deniers-là de la main du marchand ? Si on dit que ç'ont été les disciples, cela est par trop ridicule : il faut chercher une meilleure couleur. Si on dit que cela s'est fait longtemps après, encore y a-t-il moins d'apparence, vu que l'argent pouvait être passé par beaucoup de mains. Il faudrait donc montrer, ou que le marchand qui vendit sa possession aux Pharisiens pour en faire un cimetière, l'eût fait pour acheter les deniers, afin d'en faire des reliques; ou bien qu'il les a revendus aux fidèles. Or, de cela, il n'en fut jamais nouvelle en l'Église ancienne. C'est une semblable tromperie des degrés du prétoire de Pilate qui sont à Saint-Jean de Latrau, à Rome, avec des trous, où ils disent que des gouttes de sang tombèrent du corps de notre Seigneur Jésus-Christ. Item, là même, en l'église Saint-Praxède, la colonne à laquelle il fut attaché quand on le fouetta; et en l'église Sainte-Croix, trois autres, à l'entour desquelles il fut pourmené allant à la mort. De toutes ces colonnes, je ne sais où ils les ont songées. Tant y a qu'ils les ont imaginées à leur propre fantaisie. Car en toute l'histoire de l'Évangile, nous n'en lisons rien. Il est bien dit que Jésus-Christ fut flagellé; mais qu'il fût attaché à un pilier, cela est de leur glose. On voit donc qu'ils n'ont tâché à autre chose, sinon d'amasser comme une mer de mensonges. En quoi ils se sont donné une telle licence, qu'ils n'ont point eu honte de feindre une relique de la queue de l'âne sur lequel notre Seigneur fut porté. Car ils la montrent à Gènes. Mais il ne nous faut étonner non plus de leur impudence, que de la sottise et stupidité du monde, qui a reçu avec dévotion une telle moquerie. Quelqu'un pourrait ici objecter qu'il n'est pas vraisemblable qu'on montre tous les reliquaires que nous avons déjà nommés si authentiquement, qu'on ne puisse quand et quand alléguer d'où ils viennent, et de quelle main on les a eus. A cela je pourrais répondre en un mot, qu'en mensonges tant évidents, il n'est pas possible de prétendre aucune vérisimilitude. Car quelque chose qu'ils s'arment du nom de Constantin, ou du roi Louis, ou de quelque pape; tout cela ne fait rien pour approuver que Jésus-Christ ait été crucifié avec quatorze clous, ou qu'on eût employé une haie tout entière à lui faire sa couronne d'épines; ou qu'un fer de lance en ait enfanté, depuis, trois autres; ou que son saye se soit multiplié en trois, et ait changé de façon pour devenir une chasuble; ou que d'un suaire seul il en soit sorti une couvée, comme de poussins d'une poule; et que Jésus-Christ ait été enseveli tout autrement que l'Évangile ne porte. Si je montrais une masse de plomb, et que je disse : ce billon d'or m'a été donné par un tel prince; on m'estimerait un fol insensé, et pour mon dire, le plomb ne changerait pas sa couleur ni sa nature, pour être transmué en or. Ainsi, quand on nous dit: "Voilà que Godefroy de Bouillon a envoyé par deça, après avoir conquis le pays de Judée", et que la raison nous montre que ce n'est que mensonge, nous faut-il laisser abuser de paroles pour ne point regarder ce que nous voyons à l'œil ? Mais encore, afin qu'on sache combien il est sûr de se fier à tout ce qu'ils disent pour l'approbation de leurs reliques, il est'à noter que les principales reliques, et les plus authentiques qui soient à Rome, y ont été apportées, comme ils disent, par Tite et Ves-pasien. Or, c'est une bourde aussi chaude, comme si on disait que le Turc fût allé en Jérusalem pour quérir la vraie croix, afin de la mettre à Constantinople. Vespasien, avant qu'il fût empereur, conquêta et détruisit une partie de Judée : depuis, lui étant venu à l'empire, son fils Tite, lequel il avait là laissé pour son lieutenant, prit la ville de Jérusalem. Or, c'étaient païens, auxquels il chalait autant de Jésus-Christ que de celui qui n'a-vait jamais été. Ainsi on peut juger s'ils n'ont pas osé mentir aussi franchement, en alléguant Godefroy de Bouillon ou saint Louis, comme quand ils ont allégué Vespasien. Davantage, qu'on pense quel jugement a eu tant le roi qu'on appelle saint Louis, que ses semblables. Il y avait bien une dévotion et zèle tel quel d'augmenter la chrétienté; mais si on leur eût montré des crottes de chèvres, et qu'on leur eût dit : voici des patenôtres (chapelets) de Notre Dame, ils les eussent adorées sans contredit, ou les eussent apportées en leurs navires par decà, pour les colloquer honorablement en quelque lieu. Et de fait, ils ont consumé leurs corps et leurs biens, et une bonne partie de la substance de leur pays, pour rapporter un tas de menues folies dont on les avait embabouinés, pensant que ce fussent joyaux les plus précieux du monde. Pour donner encore plus amplement à connaître ce qui en est, il est à noter qu'en toute la Grèce, l'Asie-Mineure et la Mauritanie, que nous appelons aujourd'hui en vulgaire le pays des Indes, on montre avec grande assurance toutes ces antiquailles, que les pauvres idolâtres pensent avoir à l'entour de nous. Qu'est-il de juger entre les uns et les autres? Nous dirons qu'on a apporté les reliques de ces pays-là. Les chrétiens qui y habitent encore afferment qu'ils les ont, et se moquent de notre folle vanterie. Comment pourrait-on décider ces procès, sans une inquisition, laquelle ne se peut faire, et ne se fera jamais? Par quoi, le remède unique est de laisser la chose comme elle est, sans se soucier ni d'une part,ni d'autre.
Les dernières reliques qui appartiennent à Jésus-Christ, sont celles qu'on a eues depuis sa résurrection : comme un morceau du poisson rôti que lui présenta saint Pierre, quand il s'apparut à lui sur les bords de la mer. Il faut dire qu'il a été bien épicé, ou qu'on y ait fait un merveilleux saupiquet, qu'il s'est pu garder si longtemps. Mais, sans risée, est-il à présumer que les apôtres aient fait une relique du poisson qu'ils avaient apprêté pour leur dîner? Quiconque ne verra que cela est une moquerie ouverte de Dieu, je le laisse comme une bête qui n'est pas digne qu'on lui remontre plus avant.
Il y a aussi le sang miraculeux qui est sailli de plusieurs hosties; comme à Paris, en l'église de Saint-Jean en Grève, à Saint-Jean d'Angely, à Dijon, et ailleurs en tout plein de lieux. Et afin de faire le monceau plus gros, ils ont ajouté le saint canivet dont l'hostie de Paris fut piquée par un Juif; lequel les pauvres fols Parisiens ont en plus grande révérence que l'hostie même; dont notre maître de Quercu ne se contentait point, et leur reprochait qu'ils étaient pires que Juifs; d'autant qu'ils adoraient le couteau qui avait été instrument pour vider le précieux corps de Jésus-Christ. Ce que j'allègue, pource qu'on en peut autant dire de la lance, des clous et des épines; c'est que tous ceux qui les adorent, selon la sentence de notre maître de Quercu, sont plus méchants que les Juifs qui ont crucifié notre Seigneur.
Semblablement, on montre la forme de ses pieds où il a marché quand il s'est apparu à quelques-uns depuis son ascension : comme il y en a un à Rome, en l'église Saint-Laurent, au lieu où il rencontra saint Pierre, quand il lui prédit qu'il devait souffrir à Rome; un autre à Poitiers, à Sainte-Radegonde; un autre à Soissons; un autre à Arles. Je ne discute point si Jésus-Christ a pu imprimer sur une pierre la forme de son pied; mais je dispute seulement du fait, et dis, puisqu'il n'y a nulle probation légitime, qu'il faut tenir tout cela pour fable. Mais la relique la plus fériale de cette espèce, est la forme de ses fesses qui est à Rheims en Champagne, sur une pierre, derrière le grand autel; et disent que cela fut fait du temps que notre Seigneur était devenu maçon pour bâtir le portail de leur église. Ce blasphème est si exécrable que j'ai honte d'en plus parler.
Passons donc outre, et voyons ce qui se dit de ses images; non point de celles qui se font communément par peintres, ou tailleurs, ou menuisiers, car le nombre en est infini; mais de celles qui ont quelque dignité spéciale pour être tenues en quelque singularité comme reliques. Or, il y en a de deux sortes : les unes ont été faites miraculeusement, comme celle qui se montre à Rome en l'église Sainte-Marie, qu'on appelle in Porticu, item, une autre à Saint-Jean de Latran; item, une autre, en laquelle est pourtraite son effigie en l'àge de douze ans; item, celle de Lucques, qu'on dit avoir été faite par les anges, et laquelle on appelle fullus sanctus. Ce sont fables si frivoles, qu'il me semble advis que ce serait peine perdue, et même que je serais ridicule et inepte, si je m'amusais à les réfuter. Par quoi il suffit de les avoir notées en passant; car on sait bien que ce n'est pas le métier des anges d'êtres peintres, et que notre Seigneur Jésus veut être connu autrement de nous et se réduire en noire souvenance, que par images charnelles. Eusèbe raconte bien en l'histoire ecclésiastique, qu'il envoya au roi Abagarus son visage pourtrait au vif; mais cela doit être aussi certain qu'un des communis des Chroniques de Mélusine. Toutefois, encore qu'ainsi fût, comment est-ce qu'ils l'ont eu du roi Abagarus? car ils se vantent à Rome de l'avoir. Or, Euusèbe ne dit pas qu'elle fût demeurée en être jusques à son temps, mais il en parle par ouï-dire, comme d'une chose lointaine. Il est bien à présumer que six ou sept cents ans après, elle soit ressuscitée et soit venue depuis Perse jusques à Rome. Us ont aussi bien forgé les images de la croix, comme du corps; car ils se vantent à Bresse d'avoir la croix qui apparut à Constantin : de quoi je n'ai que faire d'en débattre à l'encontre d'eux; mais je les renvoie à ceux de Courtonne, qui maintiennent fort et ferme qu'elle est par devers eux. Qu'ils en plaident donc ensemble. Lors, que la partie qui aura gagné son procès, vienne, et on lui répondra. Combien que la réponse soit facile, pour les convaincre de leur folie; car ce qu'aucuns (quelques) écrivains ont dit, qu'il apparut une croix à Constantin, n'est pas à entendre d'une croix matérielle, mais d'une figure qui lui était montrée au ciel en vision. Encore donc que cela fût vrai, on voit bien qu'ils ont trop lourdement erré par faute d'intelligence, et ainsi ont bâti leurs abus sans fondement.
Quant est de la seconde espèce des images, qu'on tient en reliques pour quelques miracles qu'elles ont faits; en ce nombre sont compris les crucifix auxquels la barbe croît, comme celui de Saint-Salvador et celui d'Aurenge. Si je m'arrête à remontrer quelle folie, ou plutôt quelle bêtise c'est de croire cela, on se moquera de moi; car la chose de soi-même est tant absurde, qu'il n'est jà métier (nécessaire) que je mette peine à la réfuter. Toutefois, le pauvre monde est si stupide, que la plupart tient cela aussi certain que l'Évangile : je mets semblablement en ce rang les crucifix qui ont parlé, dont la multitude est grande. Mais contentons-nous d'un pour exemple, à savoir, de celui de Saint-Denis en France: il parla (ce disent-ils) pour rendre témoignage que l'Église était dédiée. Je laisse à penser si la chose le valait bien; mais encore je leur demande comment est-ce que le crucifix pouvait être adonc en l'église, vu que quand on les veut dédier, on en retire toutes les images ? Comment est-ce donc qu'il s'était dérobé pour n'être point transporté avec les autres? Il faut dire qu'ils ont pensé tromper le monde fort à leur aise, vu qu'ils ne se sont souciés de se contredire ouvertement, mais qu'il leur a suffi de mentir à gueule déployée, ne se donnant point garde des répliques qu'on leur pouvait faire.
Il y a finalement les larmes, dont l'une est à Vendôme, une à Trier, une à Saint-Maximin, une à Saint-Pierre le Pueillier, d'Orléans; sans celles que je ne sais point. Les unes, comme ils disent, sont naturelles, comme celle de Saint-Maximin, laquelle, selon leurs chroniques, tomba à notre Seigneur en lavant les pieds à ses apôtres; les autres sont miraculeuses. Comme s'il était à croire que les crucifix de bois fussent si dépits que de pleurer. Mais il leur faut pardonner cette faute, car ils ont eu honte que leurs marmousets n'en fissent autant que ceux des païens. Or, les païens ont feint que leurs idoles pleuraient quelquefois : ainsi nous pouvons bien mettre l'un avec l'autre.
Quant à la vierge Marie, pour ce qu'ils tiennent que son corps n'est plus en terre, le moyen leur en est ôté de se vanter d'en avoir les os; autrement, je pense qu'ils eussent fait croire au monde qu'elle avait un corps pour remplir un grand charnier. Au reste, ils se sont vengés sur ses cheveux et sur son lait, pour avoir quelque chose de son corps. De ses cheveux, il y en a à Rome, à Sainte-Marie sur Minerve, à Saint-Salvador en Espagne, à Macon, à Cluny, à Noërs, à Saint-Flour, à Saint-Jaquerie, et en autres plusieurs lieux. Du lait, il n'est jà métier de nombrer les lieux où il y en a, et aussi ce ne serait jamais fait; car il n'y a si petite villette ni si méchant couvent, soit de moines, soit de nonnains, où l'on n'en montre; les uns plus, les autres moins. Non pas qu'ils aient été honteux de se vanter d'en avoir pleines potées, mais pour ce qu'il leur semblait avis que leur mensonge serait plus couvert s'ils n'en avaient que ce qui se pourrait tenir dedans quelque montre de verre ou de cristallin, afin qu'on n'en fit pas d'examen plus près. Tant y a, que si la sainte Vierge eût été une vache, ou qu'elle eût été une nourrice toute sa vie, à grand peine en eût-elle pu rendre telle quantité. D'autre part, je demanderais volontiers comment ce lait, qu'on montre aujourd'hui partout, s'est recueilli pour le réserver en notre temps; car nous ne lisons pas que jamais aucun ait eu cette curiosité. Il est bien dit que les pasteurs (bergers) ont adoré Jésus-Christ, que les sages lui ont offert leurs présents; mais il n'est point dit qu'ils aient rapporté du lait pour récompense. Saint Luc raconte bien ce que Siméon prédit à la Vierge, mais il ne dit pas qu'il lui demanda de son lait. Quand on ne regardera que ce point, il ne faut jà arguer davantage, pour montrer combien cette folie est contre toute raison et sans couverture aucune. Et c'est merveilles, puisqu'ils ne pouvaient avoir autre chose du corps, qu'ils ne se sont avisés de rogner de ses ongles et de choses semblables; mais il faut dire que tout ne leur est pas venu en mémoire.
Le reste qu'ils ont des reliques de Notre-Dame est de son bagage. Premièrement, il y en a une chemise à Chartres, de la quelle on fait une idole assez renommée; et à Aix [la Chapelle] en Allemagne, une autre. Je laisse là comment c'est qu'ils les ont pu avoir; car, c'est chose certaine que les apôtres et les vrais chrétiens de leur temps n'ont pas été si badins que de s'amuser à telles manigances. Mais qu'on regarde seulement la forme, et je quitte le jeu, si on n'aperçoit à l'œil leur impudence. Quand on fait la montre, à Aix en Allemagne, de la chemise que nous avons dit être là, on montre, au bout d'une perche, comme une longue aube de prêtre. Or, quand la vierge Marie aurait été une géante, à grand' peine eût-elle porté une si grande chemise. Et pour lui donner meilleur lustre, on porte quand et quand les chaussettes de saint Joseph, qui seraient pour un petit enfant ou un nain. Le proverbe dit: qu'un menteur doit avoir bonne mémoire,de peur de se couper par oubli. Ils ont mal gardé cette règle, quand ils n'ont pensé de faire meilleure proportion entre les chausses du mari et la chemise de la femme. Qu'on aille maintenant baiser bien dévotement ces reliques, lesquelles n'ont autre apparence de vérité. De ses couvre-chefs, je n'en sais que deux : à Trier un, en l'abbaye Saint-llaximin; à Lisio, en Italie, un autre. Mais je voudrais qu'on avisât de quelle toile ils sont, et si on les portait de telle façon en ce temps-là au pays de Judée; je voudrais aussi qu'on fit comparaison de l'un à l'autre, pour voir comment ils s'entre-semblent. A Boulogne, ils en ont un fronteau : quelqu'un me demandera si je pense que ce fronteau soit une chose controuvée. Je réponds que j'en estime autant que de sa ceinture qui est à Prat, et de celle qui est à Notre-Dame de Montferrat; item, de sa pantoufle qui est à Sainte-Jaquerie, et un de ses souliers, qui est à Saint-Flour. Quand il n'y aurait autre chose, tout homme de moyenne prudence sait bien que ce n'a pas été la façon des fidèles, de ramasser ainsi chausses et souliers pour faire des reliques, et que jamais il n'en fut fait mention de plus de cinq cents ans après la mort de la vierge Marie. Qu'en faut-il donc plus arguer, comme si la chose était douteuse ? Même ils ont voulu faire croire à la sainte Vierge qu'elle était fort curieuse à se parer et testonner, car ils montrent deux de ses peignes : l'un à Rome, en l'église de Saint-Martin, et l'autre à Saint-Jean le Grand, de Besançon, sans ceux qui se pourraient montrer ailleurs. Si cela n'est se moquer de la sainte Vierge, je n'entends point que c'est de moquerie. Ils n'ont point aussi oublié l'anneau de ses épousailles, car ils l'ont à Péruse. Pource que maintenant la coutume est que le mari donne un anneau à sa femme en l'épousant, ils ont imaginé qu'il se faisait ainsi adonc; et, sans en faire plus longue inquisition, ils ont député un anneau à cet usage, beau et riche, ne considérant point la pauvreté en laquelle a vécu la sainte Vierge. De ses robes, ils en ont à Rome, à Saint-Jean de Latran; item, en l'église Sainte-Barbe; item, à Sainte-Marie sur Minerve; item, en l'église Saint-Biaise, et à Saint-Salvador en Espagne : pour le moins ils se disent en avoir des pièces. J'ai bien encore ouï nommer d'autres lieux, mais il ne m'en souvient. Pour montrer la fausseté en cet endroit, il ne faudrait que regarder la matière; car il leur a semblé avis qu'il leur était aussi facile d'attribuer à la vierge Marie des vêtements à leur poste, que de vêtir les images ainsi qu'ils les vêtent.
Il nous reste à parler des images, non point des communes, mais de celles qui sont en recommandation par-dessus les autres, pour quelque singularité. Or, ils font accroire à saint Luc, qu'il en peignit quatre à Rome, au lieu où est maintenant l'église de Sainte-Marie qu'ils appellent Inviolata. L'une se montre là en un oratoire, laquelle il fit (comme ils disent) à sa dévotion, avec l'anneau duquel saint Joseph l'avait épousée. Il s'en montre à Rome même une autre à Sainte-Marie la Neuve, laquelle ils disent avoir été faite ainsi par saint Luc en Troiade, et que depuis elle leur a été apportée par un ange; item, une autre à Sainte-Marie Ara Cœli, en telle forme qu'elle était auprès de la croix. Mais à Saint-Augustin, ils se vantent d'avoir la principale; car c'est celle, si on les en croit, que saint Luc portait toujours avec soi, jusqu'à la faire entrer en son sépulcre. Je vous prie, quel blasphème de faire d'un saint évangéliste un idolâtre parfait! Et même quelle couleur ont-ils pour persuader que saint Luc ait été peintre ? Saint Paul le nomme bien médecin, mais du métier de peintre, je ne sais où ils l'ont songé. Et quand ainsi serait qu'il s'en fût mêlé, il est autant à présumer qu'il eût voulu peindre la vierge Marie, comme un Jupiter, ou une Vénus, ou quelque autre idole : ce n'était pas la façon des chrétiens d'avoir des images; et n'a été longtemps après, jusqu'à ce que l'Église a été corrompue de superstitions. D'autre part, tous les anglels du monde sont pleins des images de la vierge Marie, qu'on dit qu'il a faites; comme à Cambrai, et deçà et delà. Mais en quelle forme ? il y a autant d'honnêteté comme qui voudrait pourtraire une femme dissolue. Voilà comment Dieu les a aveuglés, qu'ils n'ont eu considération non plus que bêtes brutes. Combien que je ne m'étonne pas trop de ce qu'ils ont imputé à saint Luc d'avoir fait des images de la Vierge, vu qu'ils ont bien osé imposer le semblable au prophète Jérémie; témoin le Puy en Auvergne. Il serait temps, ce crois-je, que le pauvre monde ouvrît les yeux une fois, pour voir ce qui est tant manifeste. Je laisse à parler de saint Joseph, dont les uns en ont des pantoufles, comme en l'abbaye Saint-Simon, de Trier; les autres ses chausses, comme nous avons déjà dit; les autres ses ossements. Il me suffit de l'exemple que j'ai allégué pour découvrir la sottise qui y est.
Je mettrai ici saint Michel, afin qu'il fasse compagnie à la vierge Marie. On pensera que je me gaudisse en racontant les reliques d'un ange, car les joueurs de farces même s'en sont moqués. Mais les cafards n'ont pas laissé pourtant d'abuser tout à bon escient le pauvre peuple; car à Carcassonne, ils se vantent d'en avoir des reliques, et pareillement à Saint-Julien de Tours. Au grand Saint-Michel, qui est si bien fréquenté de pèlerins, on montre son braquemart, qui est comme un poignard à usage de petit enfant; et son bouclier de même, qui est comme la boss et le d'un mors de cheval : il n'y a homme ni femme si simple, qui ne puisse juger quelle moquerie c'est. Mais pource que tels mensonges sont couverts sous ombre de dévotion, il semble avis que ce n'est point mal fait de se moquer de Dieu et de ses anges. Ils répliqueront que l'Écriture témoigne que saint Michel a combattu contre le diable. Mais s'il fallait vaincre le diable à l'épée, il la faudrait plus forte et de meilleure pointe, et de meilleur tranchant que n'est pas celle-là. Sont-ils si bêtes d'imaginer que ce soit une guerre charnelle, qu'ont tant les anges que les fidèles à l'encontre des diables, laquelle se démène par glaive matériel ? Mais c'est ce que j'ai dit du commencement : que le monde méritoit bien d'être séduit en telle bêtise, d'autant qu'il était si pervers de convoiter des idoles et marmousets pour adorer, au lieu de servir au Dieu vivant.
Pour tenir ordre, il nous faut maintenant traiter de saint Jean-Baptiste, lequel, selon l'histoire évangélique, c'est-à-dire la vérité de Dieu, après avoir été décollé (décapité), fut enterré par ses disciples. Théodorite, chroniqueur ancien de l'Église, raconte que son sépulcre étant en Sébaste, ville Syrie, fut ouvert par les païens quelque temps après, et que ses os furent brûlés par iceux, et la cendre éparse en l'air. Combien qu'Eusèbe ajoute, que quelques hommes de Jérusalem survinrent là et en prirent en cachette quelque peu qui fut porté en Antioche, et là enterré par Athanase en une muraille. Touchant de la tête, Sozomenus, un autre chroniqueur, dit qu'elle fut emportée par l'empereur Théodose auprès de la ville de Constantinople. Par quoi, selon les histoires anciennes, tout le corps fut brûlé, excepté la tête; et tous les os et les cendres perdus, excepté quelque petite portion que prirent les ermites de Jérusalem à la dérobée. Voyons maintenant ce qu'il s'en trouve. Ceux d'Amiens se glorifient d'avoir le visage; et en la masque qu'ils montrent, il y a la marque d'un coup de couteau sur l'œil, qu'ils disent qu'Hérodias lui donna; mais ceux de Saint-Jean d'Angeli y contredisent, et montrent la même partie. Quant au reste de la tête, le dessus, depuis le front jusques au derrière, était à Pihodes, et est maintenant à Malte, comme je pense; au moins les commandeurs ont fait croire que le Turc leur avait rendu. Le derrière est à Saint-Jean de Nemours; sa cervelle est à Nogent-le-Rotrou. Nonobstant cela, ceux de Saint-Jean de Maurienne ne laissent point d'avoir une partie de la tête. Sa mâchoire ne laisse point à être à Besançon, à Saint-Jean le Grand: il y en a une autre partie à Saint-Jean de Latran, à Paris; et à Saint-Flour en Auvergne, un bout de l'oreille; à Saint-Salvador en Espagne, le front et des cheveux; il y en a aussi bien quelque lopin à Noyon, qui s'y montre fort authentiquement; il y en a semblablement une partie à Lucques, je ne sais de quel endroit. Tout cela est-il fait? Qu'on aille à Rome et au monastère de Saint-Sylvestre, et on orra dire, voici la tête de saint Jean-Baptiste. Les poêtes feignent qu'il y avait autrefois un roi en Espagne, nommé Gérion, lequel avait trois têtes : si nos forgeurs de reliques eu pouvaient autant dire de saint Jean-Baptiste, cela leur viendrait bien à point pour leur aider à mentir. Mais puisque cette fable n'a point lieu, comment s'excuseront-ils? Je ne les veux point presser de si près que de leur demander comment la tête s'est ainsi déchiquetée pour être départie en tant de lieux, et si divers, ni comment c'est qu'ils l'ont eue de Constantinople : seulement, je dis qu'il faudrait que saint Jean eût été un monstre, ou que ce sont abuseurs effrontés de montrer tant de pièces de sa tête. Qui plus est, ceux de Séne se vantent d'en avoir le bras : ce qui est répugnant, comme nous avons dit, à toutes les histoires anciennes. Et néanmoins, cet abus non-seulement est souffert, mais aussi approuvé : comme rien ne se trouve mauvais au royaume de l'antechrist, moyennant qu'il entretienne le peuple en superstition. Or, ils ont trouvé une autre fable : c'est que, quand le corps fut brûlé, que le doigt dont il avait montré notre Seigneur Jésus-Christ demeura entier, sans être violé. Cela non-seulement n'est pas conforme aux histoires anciennes, mais même il se peut aisément rédarguer par Scelles; car Eusèbe et Théodorite, nommément, disent que le corps était déjà réduit en os quand les païens le raviront. Et n'eussent eu garde d'oublier un tel miracle, s'il en eût été quelque chose : car ils ne sont autrement que trop curieux à en raconter, même de frivoles. Toutefois, encore qu'ainsi fût, oyons un petit où est ce doigt. A Besancon, en l'église St-Jean le Grand, il y en a un; à Toulouse, un autre; à Lyon, un autre; à Bourges, un autre; à Florence, un autre; à St-Jean des Aventures, près Macon, un autre. Je ne dis mot là-dessus, sinon que je prie les lecteurs de ne se point endurcir à l'encontre d'un avertissement si clair et si certain, et ne point fermer les yeux à une telle clarté, pour toujours se laisser séduire comme en ténèbres. Si c'étaient joueurs de passe-passe qui nous éblouissent les yeux, tellement qu'il nous semblât avis qu'il y en eût six, encore aurions-nous cet avis de craindre d'être abusés. Or, ici il n'y a nulle subtilité; il est seulement question si nous voulons croire que le doigt de saint Jean soit à Florence, et qu'il soit autre part en cinq lieux : autant de Lyon et de Bourges, et des autres. Ou, pour le dire plus bref, si nous voulons croire que six doigts ne soient qu'un, et qu'un seul soit six. Je ne parle sinon de ce qui est venu à ma notice. Je ne doute pas que si on enquéroit plus diligemment, qu'il ne s'en trouvât encore une demi-douzaine ailleurs. Et de la tête, qu'il lie s'en trouvât encore des pièces qui monteraient bien la grosseur d'une tête de bœuf, voire outre ce que j'en ai dit. Or de peur de ne rien laisser derrière, ils ont aussi bien fait semblant d'avoir les cendres : dont il y en a une partie à Gènes, l'autre partie à Rome, en l'église Saint-Jean de Latran. Or avons-nous vu que la plupart avait été jetée en l'air; toutefois, ils ne laissent point d'en avoir, comme ils disent,une bonne portion, et principalement à Gênes. Restent maintenant, après le corps, les autres appartenances : comme un soulier, qui est aux Chartreux de Paris; lequel fut dérobé il y a environ douze ou treize ans. Mais incontinent il s'en retrouva un autre de nouveau. Et de fait, tant que l'enge des cordonniers soit faillie, jamais ils n'auront faute de telles reliques. A Rome, à Saint-Jean de Latran, ils se vantent d'avoir sa haire, de laquelle il n'est fait nulle mention en l'Évangile : sinon pource qu'il est là parlé qu'il était vêtu de poil de chameau, ils veulent convertir une robe en haire. Là même, ils disent qu'ils ont l'autel sur lequel il priait au désert; comme si, de ce temps-là, ou eût fait des autels à tout propos et en chacun lieu. C'est merveille qu'ils ne lui font accroire qu'il ait chanté messe. En Avignon, est l'épée de laquelle il fut décollé; et à Aix en Allemagne, le linceul, lequel fut étendu sous lui. Je voudrais bien savoir comment le bourreau était si gracieux, que de lui tapisser le pavé de la prison quand il le vouloit faire mourir. N'est-ce pas une sotte chose de controuver cela? Mais encore, comment l'un et l'autre sont-ils venus entre leurs mains? Pensez-vous qu'il est bien vraisemblable que celui qui le mit à mort, fût-il un gendarme ou un bourreau, donnât le linceul et son épée pour en faire une relique? Puisqu'ils voulaient faire une telle garniture de toutes pièces, ils ont failli de laisser le couteau d'Hérodias, dont elle frappa l'œil : tout le sang qui fut répandu, et même son sépulcre. Mais je pourrais bien aussi errer; car je ne sais pas si toutes ces bagues sont autre part.
C'est maintenant aux apôtres d'avoir leur tour. Mais pource que la multitude pourroit engendrer confusion, si je les mettais tous ensemble, nous prendrons saint Pierre et saint Paul à part, puis nous parlerons des autres. Leurs corps sont à Rome : la moitié en l'église de Saint-Pierre, et l'autre moitié à Saint-Paul. Et disent que saint Sylvestre les pesa, pour les distribuer ainsi en égales portions. Les deux têtes sont aussi à Rome, à Saint-Jean de Latran. Combien qu'en la même église il y a une dent de saint Pierre à part. Après tout cela, on ne laisse point d'en avoir des os partout : comme à Poitiers, on a la mâchoire avec la barbe; à Trier, plusieurs os de l'un et de l'autre; à Argenton en Berry, une épaule de saint Paul. Et quand seroit-ce fait? car partout où il y a église qui porte leurs noms, il y en a des reliques. Si on demande quelles, qu'on se souvienne de la cervelle de saint Pierre, dont j'ai parlé, qui était au grand autel de cette ville. Tout ainsi qu'on trouva que c'était une pierre de ponce, ainsi trouverait-on beaucoup d'os de chevaux ou de chiens, qu'on attribue à ces deux apôtres.
Avec les corps, il y a suite. A Saint-Salvador en Espagne, ils en ont une pantoufle : de la forme et de la matière, je n'en puis répondre; mais est bien à présumer que c'est une semblable marchandise que celle qu'ils ont à Poitiers, lesquelles sont d'un satin broché d'or. Voilà comment on le fait brave après sa mort, pour le récompenser de la pauvreté qu'il a eue sa vie durant. Pourcequeles évêques de maintenant sont ainsi mignons quand ils se mettent en leur pontificat, il leur semble avis que ce serait déroger à la dignité des apôtres, si on ne leur en faisait autant. Or, les peintres peuvent bien contrefaire des marmousets à leur plaisir, les dorant et ornant depuis la tête jusqu'aux pieds, puis après leur imposer le nom de saint Pierre ou de saint Paul. Mais on sait quel a été leur état pendant qu'ils ont vécu en ce monde, et qu'ils n'ont eu autres accoutrements que de pauvres gens. Il y a aussi bien à Rorne la chaire épiscopale de saint Pierre, avec sa chasuble. Comme si de ce temps-là les évêques eussent eu des trônes pour s'asseoir. Mais leur office .était d'enseigner, de consoler, d'exhorter en public et en particulier, et montrer exemple de vraie humilité à leur troupeau : non point de faire des idoles, comme font ceux de maintenant. Quant est de sa chasuble, la façon n'était point encore venue de se déguiser : car on ne jouoit point des farces en l'église comme on fait à présent. Ainsi, pour prouver que saint Pierre eut une chasuble, il fau-droit premièrement montrer qu'il aurait fait du bateleur, comme font nos prêtres de maintenant, en voulant servir à Dieu. Il est bien vrai qu'ils lui pouvaient bien donner une chasuble, quand ils lui ont assigné un autel; mais autant a de couleur l'un comme l'autre. On sait quelles messes on chantoit alors. Les apôtres ont célébré de leur temps, simplement, la Cène de notre Seigneur, à laquelle il n'est point métier d'avoir un autel. De la messe, on ne savoit encore quelle bête c'était, et ne l'a-t-on pas su longtemps après. On voit bien donc que quand ils ont inventé leurs reliques, ils ne se doutaient point de jamais avoir contredisants, vu qu'ils ont ainsi osé impudemment mentir à bride avalée. Combien que de cet autel ils ne conviennent point entre eux; car ceux de Rome afferment qu'ils l'ont, et ceux de Pisé le montrent aussi bien aux faubourgs tirant vers la mer. Pour faire leur profit de tout, ils n'ont point oublié le couteau duquel Malchus eut l'oreille coupée; comme si c'était un joyau digne de mettre en relique. J'avais oublié sa crosse, laquelle se montre à St-Étienne des Grés, à Paris, de laquelle il faut estimer autant que de l'autel, ou de la chasuble, car c'est une même raison. Il y a un petit plus d'apparence à son bourdon; car il est bien à présumer qu'il pouvoit être armé de tel bâton, allant par les champs. Mais ils gâtent tout, de ne se pouvoir accorder; car ceux de Cologne se font forts de l'avoir, et ceux de Trier sem-blablement. Ainsi, en démentant l'un l'autre, ils donnent bien occasion qu'on n'ajoute nulle foi à tous deux. Je laisse deparier de la chaîne de saint Paul, dont il fut lié; laquelle se montre à Rome, en son église. Item, du pilier sur lequel saint Pierre fut martyrisé, lequel est à Saint-Anastase. Je laisse seulement à penser aux lecteurs d'où c'est que cette chaîne a été prise pour en faire une relique. Item, à savoir si en ce temps-là on exécutoit les hommes sur des piliers.
Nous traiterons en commun de tous les autres apôtres, pour avoir plus tôt fait. Et premièrement, nous raconterons où il y en a des corps entiers, afin qu'en faisant conférence de l'un à l'autre, on juge quel arrêt on peut prendre sur leur dire. Chacun sait que la ville de Toulouse en pense avoir six; à savoir : saint Jacques le Majeur, saint André, saint Jacques le Mineur, saint Philippe, saint Simon et saint Jude. A Padoue est le corps saint Ma-thias; à Salerne, le corps saint Mathieu; à Orconne, celui de saint Thomas; au royaume de Naples, celui de saint Barthélemy. Avisons maintenant lesquels ont deux corps ou trois. Saint André a un second corps à Melphe; saint Philippe et saint Jacques ïe Mineur, chacun aussi un autre à Rome, ad Sanctos Apostolos; saint Simon et saint Jude, aussi bien à Rome, en l'église Saint-Pierre; saint Barthélemy, à Rome, en son église. En voilà déjà six qui ont deux corps chacun. Et encore, de superabondant, la peau de saint Barthélemy est à Pise. Toutefois, saint Mathias a emporté tous les autres; car il a un corps à Rome à Sainte-Marie la Major, et le troisième à Trier. Outre cela, encore a-t-il une tète à part et un bras à part, à Rome même. Il est vrai que les lopins qui sont de saint André ça et là récompensent à demi. Car à Rome, en l'église Saint-Pierre, il a une tête; en l'église Saint-Grisogone, une épaule; à Saint-Eustace, une côte, et au Saint-Esprit, un bras; à Saint-Blaise, je ne sais quelle autre partie; à Aix en Provence, un pied. Qui conjoindrait cela ensemble, ce serait tantôt pour en faire deux quartiers, moyennant qu'on les pût bien proportionner. Or, comme saint Barthélemy a laissé la peau à Fisc, aussi y a-t-il une main; A Trier, il y en a je ne sais quel membre; à Fréjus, un doigt; à Rome, en l'église Sainte-Barbe, d'autres reliques. Ainsi encore n'est-il point des plus pauvres, car les autres n'en ont pnstant. Toutefois, chacun en a encore quelque lopin. Comme saint Philippe a un pied à Rome ad Sanctos Apostolos, et à Sainte-Barbe, je ne sais quelles reliques. Item plus, à Trier. En ces deux dernières églises, il a semblablement saint Jacques pour compagnon; lequel a pareillement une tète en l'église Saint-Pierre, et un bras a Saint-Grisogone, et un autre ad Sanctos Apostolos. Saint Mathieu et saint Thomas sont demeurés les plus pauvres; car le premier, avec son corps, n'a, sinon quelques os à Trier, un bras à Rome à Saint-Marcel, et à Saint-Nicolas une tête. Sinon que par aventure il m'en soit échappé quelque chose, ce qui se pourroit bien faire; car en tel abîme qui n'y serait confus?
Pource qu'ils trouvent en leurs chroniques que le corps de saint Jean l'évangéliste s'évanouit incontinent après qu'on l'eut mis en la fosse, ils n'ont pu produire de ses ossements; mais pour suppléer ce défaut, ils se sont rués sur son bagage. Et premièrement, ils se sont avisés du calice auquel il but la poison, étant condamné par Domitien. Mais pourceque deux l'ont voulu avoir, ou il nous faut croire ce que disent les alchimistes de leur multiplication, ou que ceux-ci, avec leur calice, se sont moqués du monde. L'un est à Boulogne, et l'autre à Rome, à Saint-Jean de Latran. Ils ont puis après controuvé son hoqueton, et une chaîne dont il était lié, quand on l'amena prisonnier d'Ephèse; avec l'oratoire où il souloit prier étant en la prison. Je voudrais bien savoir s'il avait lors menuisiers à louage pour lui faire des oratoires. Item, quelle familiarité avaient les chrétiens avec sa garde, pour retirer sa chaîne et en faire une relique ? Ces moqueries sont trop sottes, et fût-ce pour abuser les petits enfants. Mais le joyau le plus férial est des douze peignes des Apôtres, qu'on montre à Notre-Dame de l'Ile, sus Lyon. Je pense bien qu'ils ont été du commencement là mis pour faire croire qu'ils étaient aux douze pairs de France; mais depuis, leur dignité s'est accrue, et sont devenus apostoliques.
Il nous faut dorénavant dépêcher, ou autrement jamais nous ne sortirons de cette forêt. Nous raconterons donc en bref les reliques qu'on a des saints qui ont été du temps que notre Seigneur Jésus-Christ vivait; puis, conséqucmment, des martyrs anciens et des autres saints. Sur cela les lecteurs auront à juger quelle estime ils en devront avoir. Sainte Anne, mère de la vierge Marie, a l'un de ses corps à Apt en Provence, l'autre à Notre-Dame de l'Ile, à Lyon; outre cela, elle a une tête à Trier, l'autre à Turon en Jullet, l'autre en Turinge, en une ville nommée de son nom. Je laisse les pièces qui sont en plus de cent lieux; et entre autres il me souvient que j'en ai baisé une partie en l'abbaye d'Orcamp, près Noyon, dont on fait grand festin. Finalement, elle a un de ses bras à Rome, en l'église Saint-Paul. Qu'on prenne fondement là-dessus si on peut.
Il y a puis après le Lazare, et la Madeleine sa sœur. Touchant de lui, il n'a que trois corps, que je sache : l'un est à Marseille, l'autre à Autun, le troisième à Avalou. Il est vrai que ceux d'Autun en ont eu gros procès à l'encontre de ceux d'Avalon; mais après avoir beaucoup despendu d'argent d'un côté et d'autre, ils ont tous deux gagné leur cause : pour le moins, ils sont demeurés en possession de titre. Pource que la Madeleine était femme, il fallait qu'elle fût inférieure à son frère: pour tant elle n'a eu que deux corps, dont l'un est à Vezelé près d'Auxerre, et l'autre qui est de plus grand renom, à Saint-Maximin en Provence, là où la tète est à pari, avec son noli me tangcre, qui est un lopin de cire, qu'on pense être la marque que Jésus-Christ lui fît par dépit, pource qu'il était marri qu'elle le vouloit toucher. Je ne dis pas les reliques qui en sont dispersées pur tout le monde, tant de ses os que de ses cheveux. Qui voudrait avoir certitude de tout cela, il s'enquerroit, pour le premier, à savoir si le Lazare et ses deux sœurs Marthe et Madeleine ne sont jamais venus en France pour prêcher. Car en lisant les histoires anciennes, et en jugeant du tout avec raison, on voit évidemment que c'est la plus sotte fable du monde, et laquelle a autant d'apparence que si on disoit que les nuées sont peaux de veau; et néanmoins ce sont les plus certaines reliques qu'on ait. Mais encore qu'ainsi fût, il suffisoit d'abuser d'un corps en idolâtrie, sans faire d'un diable deux ou trois. Ils ont aussi bien canonisé celui qui perça le côté de notre Seigneur en la croix, et l'ont appelé saint Longin. Après l'avoir ainsi baptisé, ils lui ont donné deux corps, dont l'un esta Mantoue/ et l'autre à Notre-Dame de l'Ile, près Lyon. Ils ont fait le semblable des sages qui vinrent adorer notre Seigneur Jésus après sa nativité. Et premièrement, ils ont déterminé du nombre, disant qu'ils n'étaient que trois. Or l'Évangile ne dit pas combien ils étaient; et aucuns des docteurs anciens ont dit qu'ils étaient quatorze, comme celai qui a écrit le commentaire imparfait sur saint Mathieu, qu'on attribue à Chrysostôme. Après, au lieu que l'Évangile les dit philosophes, ils en ont fait des rois à la hâte, sans pays et sans sujets. Finalement, ils les ont baptisés, donnant àTun nom Balthasar, à l'autre Melchior, et à l'autre Gaspard. Or, encore que nous leur concédions toutes leurs fables, ainsi frivoles qu'elles sont, il est certain que les sages retournèrent au pays d'Orient; car la sainte Écriture le dit, et ne peut-on dire autre chose, sinon qu'ils moururent là. Qui est-ce qui les en a transportés depuis ? Et qui est-ce qui les connoissoit, poiy les marquer, afin de faire ainsi des reliques de leurs corps ? Mais je m'en déporte, d'autant que c'est folie à moi de rédarguer des moqueries tant évidentes. Seulement je dis qu'il faut que ceux de Cologne et ceux de Milan se combattent à qui les aura; car tous deux prétendent ensemble les avoir, ce qui ne se peut faire. Quand leur procès sera vidé, lors nous aviserons ce qu'il sera de faire.
Entre les martyrs anciens, saint Denis est des plus célèbres; car on le tient pour un des disciples des Apôtres, et le premier évangéliste de France. A cause de cette dignité, on a de ses reliques en plusieurs lieux. Toutefois, comme l'on dit, le corps est demeuré entier seulement en deux lieux : à Saint-Denis en France ,et à Regesbourg en Allemagne. Pour ce que les Français maintenaient de l'avoir, ceux de Regesbourg en émurent le procès à Rome, il y a environ cent ans, et le corps leur Tut adjugé par sentence définitive, présent l'ambassadeur de France, dont ils ont belle bulle. Quidiroit, à Saint-Denis près Paris, que le corps n'est point là, il serait lapidé. Quiconque voudra contredire qu'il ne soit à Regesbourg, sera tenu pour hérétique, d'autant qu'il sera rebelle au Saint-Siège apostolique. Ainsi, le plus expédient sera de ne s'entremettre point en leurs querelles. Qu'ils se crèvent les yeux les uns aux autres s'ils veulent; et en ce faisant, qu'ils ne profitent de rien, sinon pour découvrir que tout leur cas gît en mensonge.
De saint Étienne, ils ont tellement parti le corps, qu'il est entier à Rome en son église, le chef en Arles, et des os en plus de deux cents lieux. Mais pour montrer qu'ils sont des adhérents de ceux qui l'ont meurtri, ils ont canonisé les pierres dont il a été lapidé. On demandera où c'est qu'on les a pu trouver, et comment ils les ont eues, et de quelles mains, et par quel moyen. Je réponds brèvement que cette demande est folle; car on sait hien qu'on trouve partout des cailloux, tellement que la voiture n'en coûte guère. A Florence, en Arles, aux Augustins, au Vigan en Languedoc, on en montre. Celui qui voudra fermer les yeux et l'entendement croira que ce sont les propres pierres dont saint Etienne fut lapidé; celui qui voudra un peu considérer s'en moquera. Et de fait, les carmes de Poitiers en ont bien trouvé un depuis quatorze ans, auquel ils ont assigné l'office de délivrer les femmes, lesquelles sont en travail d'enfant. Les jacobins, auxquels on avait dérobé une côte de sainte Marguerite, servant à cet usage, leur en ont fait grand' noise, criant contre leurs abus; mais en la fin, ils ont gagné en tenant bon.
J'avais quasi délibéré de ne parler des innocents, pource que, quand j'en aurais assemblé une armée, ils répliqueront toujours que cela ne contrevient point à l'histoire, d'autant que le nombre n'en est point défini. Je laisse donc à parler cie la multitude. Seulement, qu'on note qu'il y en a en toutes les régions du monde. Je demande maintenant, comment c'est qu'on a trouvé leurs sépulcres si longtemps après, vu qu'on ne les lenoit point pour saints quand Ilérode les fit mourir. Après, quand c'est qu'on les a apportés ? Ils ne me peuvent répondre autre chose, sinon que ç'a été cinq ou six cents ans après leur mort. Je m'en rapporte aux plus pauvres idiots qu'on pourra trouver, si on doit ajouter foi à des choses tant absurdes. Après encore, qu'il s'en fût trouvé par fortune quelqu'un, comme se pouvoit-il faire qu'on en apportât plusieurs corps en France, en Allemagne, en Italie, pour les distribuer en des villes tant éloignées l'une de l'autre? Je laisse donc cette fausseté pour convaincue du tout.
Pour tant que saint Laurent est du nombre des anciens martyrs, nous lui donnerons ici son lieu : je ne sais point que son corps soit en plus d'un lieu, c'est à savoir à Rome, en l'église dédiée de son nom; il est vrai qu'il y a puis après un vaisseau de sa chair grillée; item, deux fioles pleines, l'une de son sang, et l'autre de sa graisse; item, en l'église surnommée Palisperne, son bras et de ses os; et à Saint-Sylvestre, d'autres reliques. Mais si on vouloit amasser tous les ossements qui s'en montrent seulement en France, il y en aurait pour former deux corps, au long et au large. Il y a puis après la grille sur laquelle il fut rôti; combien que l'église qu'on surnomme Palisperne se vante d'en avoir une pièce. Or, pour la grille, encore la laisserai-je passer; mais ils ont d'autres reliques trop fériales, desquelles il ne m'est point licite de me taire : comme des charbons qu'on montre à Saint-Eustace; item, une serviette dont l'ange torcha son corps. Puisqu'ils ont pris le loisir de songer telles rêveries pour abuser le monde, que ceux qui verront cet avertissement prennent aussi loisir de penser à eux, pour se garder de n'être plus ainsi moqués. D'une même forge est sortie sa tunique, qu'on montre à Rome même en l'église Sainte-Barbe. Pource qu'ils ont ouï dire que saint Laurent éloit diacre, ils ont pensé qu'il devoit avoir les mêmes accoutrements dont leurs diacres se déguisent, en jouant leur personnage à la messe; mais c'était bien un autre office, de ce temps-là, en l'Église chrétienne, que ce n'està présent en la papauté : c'étaient les commis ou députés à distribuer les aumônes, et non point bateleurs pour jouer des farces. Ainsi ils n'avaient que faire de tuniques, ni dalrnatiques, ni autres habits de fols pour se déguiser.
Nous ajouterons à saint Laurent, saint Gervais et saint Protais, desquels le sépulcre fut trouvé à Milan du temps de saint Ambroise, comme lui-même le testifie; pareillement saint Jérôme, saint Augustin et plusieurs autres. Et ainsi, la ville de Milan maintient qu'elle en a encore les corps. Nonobstant cela, ils sont à Brisac, en Allemagne, et à Besançon, en l'église paroissiale de Saint-Pierre; sans les pièces infinies qui sont éparses en diverses églises; tellement, qu'il faut nécessairement que chacun ait eu quatre corps pour le moins, ou qu'on jette aux champs tous les os qui s'en montrent à fausses enseignes.
Pour ce qu'ils ont donné à saint Sébastien l'office de guérir de la peste, cela a fait qu'il a été plus requis, et que chacun a plus appélé de l'avoir; ce crédit l'a fait multiplier en quatre corps entiers, dont l'un est à Rome, à Saint-Laurent, l'autre à Soissons, le troisième à Piligni, près Nantes, le quatrième près de Narbonne, au lieu de sa nativité. En outre, il a deux têtes : l'une à Saint-Pierre de Rome, et l'autre aux Jacobins de Toulouse. Il est vrai qu'elles sont creuses, si l'on s'en rapporte aux cordeliers d'Angers, lesquels se disent en avoir la cervelle; item, plus les jacobins d'Angers en ont un bras; il y en a un autre à Saint-Surniii de Toulouse; un autre à la Chaise-Dieu en Auvergne, et un autre à Montbrison en Forez; sans les menus lopins qui en sont en plusieurs églises. Mais quand on aura bien contrepesé, qu'on devine où est le corps de saint Sébastien ? Même ils n'ont pas été contents de tout cela, s'ils ne faisaient aussi bien des reliques des flèches dont il fut tiré; desquelles ils en montrent une à Lambesc en Provence; une à Poitiers, aux Augustins; et les autres par-ci par-là. Par cela, voit-on bien qu'ils ont pensé de ne jamais rendre compte de leurs tromperies.
Une semblable raison a valu à saint Antoine, pour lui multiplier ses reliques; car d'autant que c'est un saint colère et dangereux, comme ils le feignent, lequel brûle ceux à qui il se courrouce; par cette opinion il se fait craindre et redouter. La crainte a engendré dévotion, laquelle a aiguisé l'appétit pour faire désirer d'avoir son corps, à cause du profit. Par quoi la ville d'Arles en a eu grand combat, et long, contre les autoniens de Viennois; mais l'issue n'en aété autre qu'elle a accoutumé d'être en telle matière, c'est-à-dire que tout est demeuré en confus. Car, si on vouloit liquider la vérité, nulle des parties n'aurait bonne cause. Avec ces deux corps, il a un genou aux Augustins d'Allii; à Bourg, à Macon, à Dijon, à Chàlons, à Ouroux, à Besançon, ¤is reliques de divers membres; sans ce qu'en portent les quèrs, qui n'est point petite quantité. Voilà que c'est d'avoir le it d'être mauvais; car sans cela le bon suint fût demeuré en sa fosse, ou en quelque coin, sans qu'on en eût tenu compte.
J'avais oublié sainte Pétronelle, la fille de saint Pierre, laquelle a son corps entier à Rome, en l'église de son père; item, plus, des reliques à part à Sainte-Barbe. Mais elle ne laisse point pourtant d'en avoir un autre au Mans, au couvent des jacobins; lequel est là tenu en grande solennité, pource qu'il guérit des fièvres. D'autant qu'il y a eu plusieurs saintes nommées Susanne, je ne sais pas bonnement si leur intention a été de redoubler le corps d'une; mais tant y a qu'il y a un corps de sainte Susanne à Rome, en l'église dédiée de son nom, et un autre à Toulouse. Sainte Hélène n'a pas été si heureuse : car, outre son corps qui est à Venise, elle n'a gagné de superabondant qu'une tête, laquelle est à Saint-Gérion de Cologne. Sainte Ursule l'a surmontée en cette partie: son corps, premièrement, est à Saint-Jean d'Angely; elle a puis après une tête à Cologne, une portion aux Jacobins du Mans, une autre aux Jacobins de Tours, l'autre à Bergerat. De ses compagnes, qu'on appelle les onze mille Vierges, on en a bien pu avoir partout. Et de fait, ils se sont bien aidés de cela, pour oser mentir plus librement; car, outre cent charretées d'ossements, qui sont à Cologne, il n'y a à grand' peine ville en toute l'Europe, qui n'en soit remparée, ou en une église ou en plusieurs.
Si je commençais à faire les montres des saints vulgaires, j'entrerais en une forêt dont je ne trouverais jamais issue. Par quoi je me contenterai d'alléguer quelques exemples en passant, dont on pourra faire jugement de tout le reste. A Poitiers, il y a deux églises qui se combattent du corps de saint Hilaire; à savoir : les chanoines de son église, et les moines de la Selle; le procès en est pendant au crochet jusques à ce qu'on en fasse Visitation. Cependant les idolâtres seront contraints d'adorer deux corps d'un homme. Les fidèles laisseront reposer le corps, où qu'il soit, sans s'en soucier. De saint Honorât, son corps est en Arles, et aussi bien à l'île de Lyrins, près Antibes. Saint Gilles a l'un de ses corps à Toulouse, et l'autre à une ville du Languedoc, laquelle porte son nom. Saint Guillaume est en une abbaye de Languedoc, nommée Saint-Guillaume-du-Désert, et en une ville d'Aussoy, nommée Ecrichen, avec la tète à part; combien qu'il ait une autre tète au faubourg de Turen en Jullet, en l'abbaye des guillermites. Que dirai-je de saint Saphorin ou Symphorien, lequel est en tant de lieux, en corps et en os ? Pareillement de saint Loup, qui est à Auxerre, à Sens, à Lyon, et faisait-on croire qu'il était à Genève. Autant de saint Ferréol, qui est tout entier à Uzès, en Languedoc, et à Brioude, en Auvergne. Au moins qu'ils fissent quelques bonnes transactions ensemble, pour ne point tant découvrir leurs mensonges; comme ont fait les chanoines de Trier avec ceux du Liège, touchant la tête de saint Lambert; car ils ont composé à quelque somme d'argent pour l'intérêt des offrandes, de ne la montrer publiquement, de peur qu'on ne s'étonnât de la voir en deux villes tant voisines. Mais c'est ce que j'ai dit du commencement; ils n'ont point pensé d'avoir jamais un contrôleur qui osât ouvrir la bouche pour remontrer leur impudence.
On me pourroit demander comment ces bâtisseurs de reliques, vu qu'ils ont ainsi amassé sans propos tout ce qu'il leur venait en la tête, et en soufflant ont forgé tout ce qui leur plaisoit, ont laissé derrière les choses notables du vieil Testament. A cela je ne saurais que répondre, sinon qu'ils les ont méprisées, pource qu'ils n'espéraient point d'en avoir grand profit. Combien qu'ils ne les ont du tout oubliées; car à Rome, ils disent avoir des os d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, à Sainte-Marie supra Minervam; à Saint-Jean de Latran, ils se vantent d'avoir l'arche de l'alliance avec la verge d'Aaron, et néanmoins cette verge est aussi bien à la Sainte-Chapelle de Paris; et ceux de Saint-Salvador en Espagne en ont quelque pièce. Outre cela, ceux de Bordeaux maintiennent que la verge de saint Martial, qui se montre là en l'église de Saint-Séverin, est celle même d'Aaron. Il semble avis qu'ils aient voulu faire miracle nouveau, à l'envie de Dieu; car comme cette verge fut convertie en serpent par la vertu d'icelui, aussi maintenant ils l'ont convertie en trois verges. Il peut bien être qu'ils ont beaucoup d'autres manicles de l'ancien Testament; mais il suffit d'en avoir touché ce mot-là, pour montrer qu'ils se sont portés aussi loyalement en cet endroit qu'en tout le reste.
Je prie maintenant le lecteur d'avoir souvenance de ce que j'ai dit du commencement; c'est que je n'ai pas eu des commissaires pour visiter les sacristies de tous les pays, dont j'ai fait par ci-dessus mention. Pourtant il ne faut point prendre ce que j'ai dit des reliques, comme un registre ou inventaire entier de ce qui s'en pourroit trouver. Je n'ai nommé d'Allemagne que environ demi-douzaine de villes; je n'en ai nommé d'Espagne que trois, que je sache; d'Italie, environ une quinzaine; de France, de trente à quarante, et de celles-là encore n'ai-je pas dit tout ce qui en est. Que chacun donc fasse conjecture en soi-même quel tripotage ce serait, si on mettoit par ordre la multitude des reliques qui sont par toute la chrétienté. Je dis seulement des pays qui nous sont connus et où nous hantons; car le principal est de noter que toutes les reliques qu'on montre de Jésus-Christ par deçà et des prophètes, on les trouvera aussi bien en Grèce et en Asie, et aux autres régions où il y a des églises chrétiennes. Or, je demande maintenant quand les chrétiens de l'Église orientale disent que tout ce que nous en pensons avoir est par devers eux, quelle résolution pourra-t-on prendre là-dessus? Si on leur contredit, alléguant qu'un tel corps saint fut apporté par des marchands, l'autre par des moines, l'autre par un évêque; une partie de la couronne d'épines fut envoyée à un roi de France par l'empereur de Constantinople, l'autre conquise par guerre; et ainsi de chacune pièce, ils hocheront la tête en se moquant. Comment videra-t-on ces querelles ? car, en cause douteuse, il faudra juger par conjectures. Or, en ce faisant, ils gagneront toujours; car ce qu'ils ont à dire de leur côté est plus vraisemblable que tout ce qu'on pourra prétendre du côté de par deçà. C'est un point fâcheux à démêler pour ceux qui voudront défendre les reliques.
Pour faire fin, je prie et exhorte, au nom de Dieu, tous lecteurs de vouloir entendre à la vérité, pendant qu'elle leur est tant ouvertement montrée, et connaître que cela s'est fait par une singulière providence de Dieu, que ceux qui ont voulu ainsi séduire le pauvre monde ont été tant aveuglés, qu'ils n'ont point pensé à couvrir autrement leurs mensonges; mais comme Madianites, ayant les yeux crevés, se sont dressés les uns contre les autres; comme nous voyons qu'ils se font eux-mêmes la guerre et se démentent mutuellement. Quiconque ne se voudra pas pleinement instruit que c'est une idolâtrie exécrable d'adorer relique aucune, quelle qu'elle soit, vraie ou fausse; néanmoins, voyant la fausseté tant évidente, n'aura jamais le courage d'en baiser une seule; et quelque dévotion qu'il y ait eu auparavant, il en sera entièrement dégoûté.
Le principal serait bien, comme j'ai du commencement dit, d'abolir entre nous chrétiens cette superstition païenne, de canoniser les reliques, tant de Jésus-Christ que de ses saints, pour en faire des idoles. Cette façon de faire est une pollution et ordure qu'on ne devrait nullement tolérer en l'Église. Nous avons déjà remontré par raisons et témoignages de l'Écriture, qu'ainsi est. Si quelqu'un n'est content de cela, qu'il regarde l'usage des Pères anciens, afin de se conformer à leurs exemples. Il y a eu beaucoup de saints patriarches, beaucoup de prophètes, de saints rois et autres fidèles en l'ancien Testament. Dieu avait ordonné plus de cérémonies de ce temps-là que nous n'en devons avoir; même la sépulture se devoit faire en plus grand appareil que maintenant, pour représenter par figure la résurrection glorieuse, d'autant qu'elle n'était pas si clairement révélée de parole, comme nous l'avons. Lisons-nous qu'on ait tiré hors les saints de leurs sépultures, pour en faire des poupées? Abraham, père de tous fidèles, a-t-il jamais été élevé? Sara, aussi princesse en l'Église de Dieu, a-t-elle été retirée de sa fosse? Ne les a-t-on pas laissés avec tous les autres saints en repos? Qui plus est, le corps de Moïse n'a-t-il pas été caché par le vouloir de Dieu, sans que jamais on l'ait pu trouver? Le diable n'en a-t-il pas débattu contre les anges? comme dit saint Jude. Pourquoi est-ce que Notre-Seigneur l'a ôté de la vue des hommes, et que le diable l'y voulut remettre? C'est, comme chacun confesse, que Dieu a voulu ôter à son peuple d'Israël occasion d'idolâtrie. Le diable, au contraire, l'a voulu établir. Mais le peuple d'Israël, dira quelqu'un, était enclin à superstition. Je demande que c'estde nous? N'y a-t-il pas, sans comparaison, plus de perversité entre les chrétiens en cet endroit qu'il n'y eut jamais entre les juifs? Avisons ce qui a été fait en l'Église ancienne : il est vrai que les fidèles ont toujours mis peine de retirer les corps des martyrs, afin qu'ils ne fussent mangés des bêtes et des oiseaux, et les ont ensevelis honnêtement : comme nous lisons et de saint Jean-Baptiste et de saint Étienne. Mais c'était afin de les mettre en terre, pour les laisser là jusqu'au jour de la résurrection, et non pas les colloquer en vue des hommes, pour s'agenouiller devant. Jamais cette malheureuse pompe de les canoniser n'a été introduite en l'Eglise, jusqu'à ce que tout a été perverti et comme profané : partie par la bêtise des prélats et pasteurs, partie par leur avarice, partie qu'ils ne pouvaient résister à la coutume, depuis qu'elle était reçue; et aussi que le peuple cherchoit d'être abusé, s'adonnant plutôt à folies puériles qu'à la vraie adoration de Dieu. Pourtant, ce qui a été mal commencé, et mis sus contre toute raison, devrait être totalement abattu, qui voudrait droitement corriger l'abus. Mais si on ne peut venir du premier coup à cette intelligence, pour le moins que de l'un on vienne à l'autre, et qu'on ouvre les yeux pour discerner quelles sont les reliques qu'on présente. Or, cela n'est pas difficile à voir à quiconque y voudra entendre; car entre tant de mensonges si patents, comme je les ai produits, où est-ce qu'on choisira une vraie relique, de laquelle on se puisse tenir certain? Davantage, ce n'est rien de ce que j'en ai touché, au prix de ce qui en reste. Même cependant qu'on imprimait ce livret, on m'a averti d'un troisième prépuce de notre Seigneur, qui se montre à Hildesheim, dont je n'avais fait nulle mention. Il y en a une infinité de semblables. Finalement, la visitation découvriroit encore cent fois plus que tout ce qui s'en peut dire. Ainsi, que chacun à son endroit s'avise de ne se laisser à son escient traîner comme une bête, pour errer à travers champs, sans qu'il puisse apercevoir ni voie ni sentier pour avoir quelque sûre adresse. Il me souvient de ce que j'ai vu faire aux marmousets de notre paroisse, étant petit enfant. Quand la fête de saint Étienne renoit, on parait aussi bien de chapeaux et affiquets les images des tyrans qui le lapidaient, car ainsi les appelle-t-on en commun langage, comme la sienne. Les pauvres femmes, voyant les tyrans ainsi en ordre, les prenaient pour compagnons du saint, et chacun avait sa chandelle. Qui plus est, cela se faisait bien au diable saint Michel. Ainsi en est-il des reliques : tout y est si brouillé et confus, qu'on ne saurait adorer les os d'un martyr qu'on ne soit en danger d'adorer les os de quelque brigand ou larron, ou bien d'un âne, ou d'un chien, ou d'un cheval. On ne saurait adorer un anneau de Notre-Dame, ou un sien peigne, ou ceinture, qu'on ne soit en danger d'adorer les bagues de quelque paillarde (prostituée).
Pour tant (En conséquence), se garde du danger qui voudra; car nul dorénavant ne pourra prétendre excuse d'ignorance.
Jean Calvin