Dix-huit villes populeuses, cent soixante-quatre villages furent incendiés et rasés, avec l'hécatombe de soixante mille habitants, pour venger la mort d'un ecclésiastique romain. D'après certains récits, ce chiffre de morts aurait été atteint dans la seule tuerie, qui eut lieu à Béziers. Quand cette ville, où s'était réfugiée la population des campagnes environnantes, le légat du pape, Arnaud, ordonna aux croisés "catholiques" de massacrer tous ceux qui s'y trouveraient. On lui représenta que cette cité comptait aussi un certain nombre de catholiques.
- Il n'importe, tuez-les tous, Dieu connaît ceux qui sont à Lui!
Ce légat, dans son rapport à Sa "Sainteté", parle de 20.000 morts. Il conclut son récit par ces mots :
Un très grand massacre d'ennemis a été fait, la ville entière a été saccagée et livrée aux flammés, la vengeance divine ayant merveilleusement sévi.
Un troubadour du temps, après avoir rappelé le massacre de sept mille personnes, réfugiées dans l'église de Sainte-Madeleine, conclut ainsi : « Rien ne put les sauver, ni croix, ni crucifix, ni autels; il n'en échappa, je crois pas un seul. » C'est ce qu'atteste aussi un moine, Pierre de Vaux-Cernay, qui prit part à la croisade et qui en a écrit l'histoire. A Cabaret, la dame du lieu fut jetée dans un puits et quatre cents personnes brûlées dans un pré, "ars e cremat", dit le poète populaire. D'autres tragédies épouvantables et abominables se déroulèrent à Lavaur, à Carcassonne, ... Le moine de Vaux-Cernay raconte qu'« à Lavaur nos pèlerins brûlèrent avec une grande joie d'innombrables hérétiques » et qu'à Carcassonne « les habitants durent sortir de la ville absolument nus, ne portant pas autre chose que leurs péchés ».
A Marmande, raconte le troubadour, fidèle et minutieux chroniqueur de toute la croisade : de lo sanc espars qui lai ses espandut - Es la terra vermella ci solsie la paluts - No remers hom ni felle ni joyes ni canutz - ni nulha creatura... C'est-à-dire : « Du sang qui y a été répandu - la terre, le sol et le marais en sont vermeils - il n'y reste ni homme, ni femme, ni jeune, ni vieillard - ni aucune créature. »
C'est par centaines de milliers que ceux, qui purent échapper au fléau dévastateur, abandonnèrent leur cher pays natal pour sauver leur vie et garder leur foi. Beaucoup allèrent rejoindre les Vaudois dans leurs montagnes.
Ces régions florissantes furent réduites en un désert; les vignes, les oliviers, tous les arbres fruitiers avaient été coupés, les puits comblés, les ponts rompus. Le pays ne se repeupla que très lentement; mais l'Eglise de Rome, qui y avait laissé de tels souvenirs, n'y retrouva plus jamais l'influence à laquelle elle prétendait. Pendant trois siècles, les Vaudois parcoururent, plus ou moins en cachette, la région et y entretinrent le culte évangélique. Aussi ces populations se trouvèrent-elles toutes prêtes à saluer la Réforme du XVI ème siècle et à y adhérer. Le Languedoc et les Cévennes devinrent les forteresses du protestantisme français.
Ce grand crime de la papauté a eu [pour] conséquence, la ruine de la brillante littérature de la langue d'oc.
Le provençal, l'idiome des troubadours, était alors formé, tandis que les autres langues néo-latines n'étaient guère plus que des dialectes. Les poètes italiens, même le Dante, s'exercèrent à écrire des vers dans la langue d'oc, avant de s'essayer le faire dans le parler de leurs contrées, qu'on appelait vulgaire et qui paraissait indigne de chanter, soit les affections du coeur, soit les gestes des héros.
Le Midi de la France, dépeuplé, appauvri, asservi au Nord moins civilisé, morcelé en plusieurs souverainetés, parcouru par les Inquisiteurs, aux yeux desquels toute pensée originale était suspecte et digne de mort, perdît la haute situation politique, économique et intellectuelle qu'il avait acquise et splendidement maintenue.
La langue provençale, réduite à l'état de dialecte, cessa presque d'être écrite, et même les nobles efforts récents des Félibriges n'ont pas réussi à lui rendre la place d'honneur d'où la croisade l'a brutalement fait tomber.
L'Université, créée à Toulouse vers 1250, déclara la guerre aux livres écrits en provençal, comme suspect d'hérésie. La langue d'oïl devint officielle.