ÉGLISES VAUDOISES: le témoignage de Rabaut Saint-Etienne

Extrait issu de l' Annuaire, ou répertoire ecclesiastique à l'usage des églises réformées (page 207ss) Par Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne. imprimé en 1807

Auteur: le pasteur Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne, principal rédacteur de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, fils du grand pasteur Paul Rabaut.

Courte Biographie: Ardent défenseur des droits des protestants, il avait obtenu du roi Louis XVI, grâce à l’appui de La Fayette, le droit pour les protestants à disposer d’un état-civil (édit de "tolérance" de 1787). C’était un grand pas vers le retrait de l’Édit de Fontainebleau (=révocation de l'Edit de Nantes), qui avait mis hors-la-loi pendant plus d’un siècle les protestants de France et causa la mort ou l’exil de l’immense majorité des partisans de la Réforme. Peu de temps après, membre de l’Assemblée Constituante, qu’il dirigea, il put poursuivre l’œuvre qu’il avait engagée. Opposé à toute forme de répression, il s’opposa à l'exécution du roi Louis XVI. Cela lui coûta la vie, la Terreur (Robespierre) mit fin de façon dramatique à son action, Rabaut Saint-Etienne fut guillotiné.


L'origine des Vaudois se perd dans la nuit des temps. Plusieurs historiens ecclésiastiques les ont confondus avec les sectateurs de Pierre Valdo de Lyon, (qui vivait dans le 12e siècle) sans doute à cause de la conformité de leur croyance , non moins qu'à cause de la ressemblance de leurs noms. Il est établi cependant et par la tradition, et par les écrits les plus authentiques, ( Voyez Legier et Brez, Histoire des Vaudois) que le nom de Vaudois appartenait déjà dès les siècles antérieurs aux habitants des vallées ou "vaux" que forment les Alpes entre le Piémont et le Dauphiné. C'est dans ces contrées reculées qu'ils professaient tranquillement et dans leur pureté primitive la foi et le culte évangéliques, ignorés du monde et des grands, lorsque les protestations courageuses de Claude, archevêque de Turin, contre les abus et les erreurs que Rome voulait introduire, fixèrent l'attention de cette cour sur les diocésains du vertueux prélat que nous venons dè nommer, et leur attirèrent des persécutions qui les ont tant fait connaître depuis, et qui se sont perpétuées jusqu'au 18è siècle. L'on sait que Claude de Turin vivait dans le 8ème siècle : ainsi, les Vaudois peuvent compter mille ans de vexations plus ou moins interrompues pour cause de religion.

Malgré la puissance de leurs persécuteurs ils se soutinrent avec constance, et ne voulurent jamais recevoir d'autre règle de foi que l'évangile : c'est ce qui les fit encore appeler évangéliques. On trouve un abrégé de leur doctrine dans divers manuscrits en dialecte vaudois, entr'autres dans un petit ouvrage de 1100 intitulé la nobla Leison, que plusieurs historiens ont transcrit, et dont les copies authentiques, échappées aux incendiaires et massacreurs de 1655, ont été déposées à l'université de Cambridge, et, sauf erreur, dans la bibliothèque de Genève. Arec des mœurs dignes des premiers chrétiens, comme eux les Vaudois trouvèrent des partisans, et envoyèrent même en divers pays des colonies religieuses, auxquelles leurs barbes (i) ou ministres prêchaient la doctrine de Jésus-Christ. La Calabre, la Bohême et la Hongrie peuvent en faire foi. Enfin, an commencement du 16e siècle ce fut avec les pasteurs vaudois que les réformateurs Zwingle, OEcolampade, Calvin, etc. conférèrent soit par écrit, soit de vive voix et par députés; et il est à remarquer qu'ils s'accordèrent sur les principaux points, ne différant que sur quelques articles d'une légère importance.

Tant de zèle et de persévérance, tant d'opposition aux vues de la cour de Rome ne firent que l'irriter toujours plus : aussi arma-t-elle le bras séculier contre les Vaudois partout où l'on reconnaissait son empire; les ducs de Savoie en particulier, sous la domination desquels étaient les vallées proprement dites vaudoises, durent, à son instigation, tourmenter des sujets utiles et fidèles, et porter dans leurs demeures le fer, la flamme et la destruction. La vallée du Pragela, également peuplée de Vaudois, et soumise à la France , ne fut pas plus heureuse: ses habitants subirent le sort des réformés français, et la révocation de l'édit de Nantes les fit périr, ou disperser, ou apostasier. Le nom de Vaudois se fut sans doute éteint sans les secours et les protections que la providence suscita alors à ce petit peuple.

Les puissances réformées, l'Angleterre, la Hollande, les cantons évangéliques (Suisse) et la république de Genève s'empressèrent de tendre leurs bras aux Vaudois : les deux premiers surtout se distinguèrent par la chaleur de leur intercession, et l'efficace de leur charité chrétienne. Le Wirtemberg et la Prusse offrirent aussi un asile paternel aux pauvres Vaudois persécutés lors de leur expulsion en 1686, et leurs établissements subsistent encore.

L'incorporation du Piémont à la France a changé tout à coup les destinées vaudoises. Déjà consolé de ses maux par le décret honorable de la généreuse et louable commission exécutive, qui déclare les Vaudois bien mèritants de la patrie, ce peuple, si long-tems malheureux, et si injustement maltraité par ses anciens souverains, vient de recevoir du Grand Napoléon une nouvelle existence. Ce héros philosophe n'a pas dédaigné de l'écouter : en appliquant aux Vaudois (par décret du 6 thermidor an 13) la loi concernant les cultes, du 18 germinal an 10, il relève en quelque sorte leurs temples, et les fait passer de l'état de simple tolérance à celui de la légitimité et de la protection: leurs quinze églises, desservies par treize pasteurs, et répandues dans les trois vallées de Pelis, Cluson et Balsille, (ci-devant Lucerne, Pérouse et Saint-Martin) viennent d'être organisées conformément à la loi, et forment trois églises consistoriales; savoir, Latour, Prarustin (ou Prarostino) et Ville-Sèche.

Quant au pays lui-même (piémont vaudois), il est en général pauvre, parce que sa population excède de beaucoup celle que son étendue et la nature du sol devraient permettre : cela est du aux restrictions successives auxquelles les ducs de Savoie obligèrent les Vaudois, en circonscrivant leurs demeures dans des bornes trop étroites. Eloignés des grands passages, et confinés dans des vallons et sur des montagnes élevées, ils soutiennent peu de relations commerciales : l'objet le plus considérable de négoce est celui des soies crues, que l'on recueille dans les communes les plus voisines de la plaine; le reste du pays n'offre de ressources que dans l'agriculture et le bétail.

Qu'il me soit permis de finir par deux réflexions peut-être nouvelles. L'existence des Vaudois, qui ont conservé leur culte évangélique dans toute sa pureté, quant à la doctrine, au travers tant de siècles d'erreurs, de fanatisme et de superstition, n'annonce-t-elle pas des desseins particuliers de la Providence? Et la conformité qui se trouve entre les Vaudois et les réformés n'est-elle pas une justification éternelle de ces derniers?

Ces détails m'ont été fournis par un respectable pasteur de ces intéressantes contrées, M. P. Bert, pasteur et président dé l'église consistoriale de Latour, vallée de Pelis.


(i) Barbes. Je ne dois pas oublier de remarquer ici que c'est de ce nom cle Barbe, qui signifie oncle, et qu'on donnait alors aux pasteurs comme une marque de respect, que les ennemis des Vaudois les ont appelés Barbets en style de mépris. Ce sobriquet, devenu injurieux à cause de l'intention de ses auteurs, a été souvent nuisible aux évangéliques des vallées , en les faisant confondre avec les brigands du même nom, du voisinage du Col-de-Tende près de Nice. Plus d'un Français a été et est peut-être encore dupe de cette épithète de Barbets, qu'on voulait rendre synonyme de Jacobins, et qui a failli causer leur entière ruine. Les Allemands, et surtout les Hongrois protestants, revenus de leur erreur, les ont dédommagés de leur première prévention par une conduite fraternelle.