RÉSISTANCE QUE LES DOCTRINES ET LES CÉRÉMONIES NOUVELLES RENCONTRENT DANS L'ÉGLISE. Cette résistance se manifeste.
- D'où part cette résistance. -
Signalée par le pape Célestin dans les Gaules.
- Se montre en Lombardie à l'occasion de Vigilance. -
Continue en France sous Serenus. - En Germanie. -
Epître de Zacharie sur ce point. - Réflexions.
- Opposition contre les images sous Charlemagne. -
Épiscopat de Claude de Turin. - Notice sur Claude de Turin. -
Passages de ses écrits. - Nature du ministère de Claude de Turin. - Effets de ce ministère pour les Vallées Vaudoises. - Considérations. à
l'appui. - Témoignages. L'Église chrétienne n'abandonna pas le droit sentier de la saine doctrine, la pureté et la simplicité de la vie cachée avec Christ, sans une longue résistance de la partie saine de ses membres. Qui racontera tous les efforts faits pour détourner un si grand malheur? Qui dira tout ce qui fut tenté pour empêcher un tel naufrage, pour arrêter une si grande ruine? Les documents sur ce point arrivés jusqu'à nous sont peu nombreux. Ils ne nous sont parvenus que par l'entremise du parti vainqueur. Nous sommes réduits à glaner dans son champ les quelques épis qu'il n'a pu soustraire à nos regards. Et souvent, nous devons l'avouer, nous ne trouvons qu'une place vide, où nous eussions aimé à recueillir une gerbe.
La résistance aux envahissements des erreurs de tout genre, partit souvent des rangs supérieurs de l'Église, mais plus souvent encore des rangs inférieurs. On la vit se former dans, des assemblées d'évêques, comme aussi dans le sein des congrégations et dans le coeur de simples prêtres ou d'humbles fidèles.
On le voit par ce passage, les évêques de la Lombardie avaient approuvé Vigilance, et, comme lui, s'opposaient à l'introduction des erreurs mentionnées plus haut. En Lombardie, il le paraît, des Églises nombreuses avaient donc conservé plus ou moins la saine doctrine. La longue et persévérante résistance d'une partie de l'Eglise aux empiétements des erreurs de l'Eglise romaine est si peu douteuse, que nous voyons, à la fin du VI" siècle, Serenus, évêque de Marseille, bannir avec succès les images de son diocèse. Nous l'apprenons par une lettre de Grégoire-le-Grand, qui fût pape de l'an 590 à l'an 604: « Nous avons appris, lui écrit-il, qu'animé d'un zèle inconsidéré, vous avez brisé les images des saints, sous le prétexte qu'on ne devait pas les adorer. A la vérité, nous vous aurions entièrement approuvé, si vous aviez défendu de les adorer; mais nous vous blâmons de les avoir brisées.... Car autre chose est adorer une peinture, et autre d'apprendre par l'histoire de cette peinture ce qu'il faut adorer. » (Delectus Act., etc., t. I, p. 443.) Cette lettre montre que non-seulement le culte des images, et par conséquent bien d'autres altérations de la saine doctrine, n'avaient pas encore entièrement envahi l'Église, mais encore que les papes pieux hésitaient à les recommander sous leur forme la plus blâmable. Vers le milieu du VIIIe siècle, la lutte de la fidélité contre les erreurs dure encore. Nous la voyons s'élever entre des prélats français et Boniface, apôtre de la Germanie. Claude Clément, Sidonius, Virgilius, Samson, et Aldebert à leur tête, reprochaient à Boniface de répandre les erreurs suivantes: le célibat des prêtres, le culte des reliques, l'adoration des images, la suprématie des papes, les messes pour les morts, le purgatoire, etc. Pour cette raison, les auteurs catholiques romains les accusent d'hérésie, et reprochent surtout à Aldebert d'avoir blâmé comme inutiles l'imposition des mains, les signes de croix et d'autres cérémonies déjà reçues alors dans le baptême. L'épître Xe du pape Zacharie à Boniface est trop précise sur l'existence dans l'Eglise d'une forte opposition aux envahissements du culte romain, et même sur celle d'un culte chrétien différent et plus évangélique, pour que nous ne la citions pas ici. «Quant aux prêtres, y est-il dit, que votre fraternité rapporte avoir trouvés, qui sont en plus grand nombre que les catholiques, qui sont errants, déguisés sous le nom d'évêques ou de prêtres, non ordonnés par des évêques catholiques, qui se jouent du peuple, confondent les ministères de l'Eglise et les troublent. hommes faux, vagabonds, adultères, homicides, efféminés, sacrilèges, hypocrites, la plupart esclaves tonsurés qui ont fui leurs maîtres, serviteurs du diable transformés en ministres de Christ, qui vivent à leur propre gré, étant sans évêques, ayant leurs partisans pour défenseurs contre les évêques, afin qu'ils n'attaquent pas leurs moeurs criminelles, qui assemblent séparément un peuple complice, et exercent leur ministère erroné, non dans une église catholique, mais dans des lieux sauvages, dans les celliers des campagnards, où leur maladroite folie peut être cachée aux évêques.»(Sacrô-sancta Concilia... studio Ph. LABEI, etc., t. VI col. 1519.) Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de laver les prêtres dont il est ici question des accusations d'adultère et d'homicide, de sacrilège et d'hypocrisie; chacun sait que les écrivains de l'Église romaine n'ont jamais épargné, les épithètes injurieuses et les calomnies lorsqu'il était question de ses adversaires. Il nous suffit d'avoir signalé au VIIIe siècle, par la lettre même d'un pape, l'existence de prêtres et de chrétiens réunis en assemblées religieuses, et non soumis au joug de Rome. Nous devons aussi mentionner la vive opposition que les décisions du second concile de Nicée, de l'an 787, favorables au culte des images, rencontrèrent dans les états de Charlemagne. Ces décisions, et d'autres encore sur le signe de la croix, furent repoussées par le concile de Francfort, l'an 794 malgré les représentations des légats du pape. Les prélats du second concile de Nicée ayant anathématisé ceux qui n'adoraient pas les images, Charlemagne fit observer qu'ils avaient par là anathématisé et déclaré hérétiques leurs propres pères, et qu'ayant été consacrés par eux, leur consécration était donc nulle; qu'ainsi, ils n'étaient pas de vrais prêtres. (DUPIN, Nouv. Bibl., etc., t. V, p. 148.) Un des faits les plus saillants de la résistance de l'Église fidèle à l'envahissement des erreurs, dont Rome fut le centre, est l'épiscopat de Claude de Turin. C'est un fanal qui éclaire la nuit de ces temps reculés et qui reflète au loin sa vive et belle lumière. A sa clarté, nous entrevoyons dans le lointain ces Vallées Vaudoises, où la flamme sacrée de l'Évangile que Claude de Turin avait ravivée et entretenue continuera à purifier les coeurs, alors que l'humide brouillard de l'hérésie romaine l'aura éteinte dans la plaine. Claude(3), d'abord chapelain de Louis-le-Débonnaire, déjà du vivant de Charlemagne, fut nommé par le premier de ces princes évêque de Turin, vers l'an 822, sous le pontificat de Pascal I, qui mourut le 13 mai 824, et administra le diocèse jusqu'en 839, époque. de sa mort, à ce que l'on croit. Prédicateur éloquent et versé dans la connaissance de la Parole de Dieu, il exerça un ministère actif et fructueux durant dix-sept années, et, ce qui est le caractère le plus apparent de son oeuvre, il fit disparaître des basiliques toutes les images. Miné par les partisans de ce culte inconnu à la primitive Eglise, il écrivit quelques livres pour répondre aux adversaires du dehors. Ces écrits sont perdus, à l'exception des lambeaux que Jonas d'Orléans, son adversaire, nous en a conservés. Bien qu'incomplets, et mutilés ils restent un éclatant témoignage de la doctrine prêchée durant dix-sept, ans, dans les mêmes contrées où nous la trouverons plus tard professée par les Vaudois. Les passages que nous allons en citer prouveront que Jonas d'Orléans ne faisait pas une trop grande concession, en avouant que Claude de Turin avait quelque connaissance des saintes Ecritures. L'écrit de Claude de Turin que Jonas d'Orléans nous a conservé, ainsi que Dungal, est intitulé : Réponse apologétique de Claude, évêque, à l'abbé Théodémir.
« J'ai reçu, écrit-il, par un certain porteur (4) campagnard, ta lettre pleine de babil et de sottises avec les additions dans lesquelles tu déclares que tu as été troublé, en quelque sorte, de ce que le bruit s'est répandu, à ma honte, depuis l'Italie dans toutes les Gaules, jusqu'en Espagne, que je prêche pour former une nouvelle secte, contre la règle de la foi catholique, ce qui est entièrement faux; et ce n'est pas merveille, si les membres de Satan parlent de moi de la sorte, puisqu'ils ont appelé notre chef séducteur et démoniaque. Car je n'enseigne point une nouvelle secte, moi qui reste dans l'unité (de l'Eglise) et qui proclame la vérité. Mais, autant qu'il a dépendu de moi, j'ai étouffé les sectes, les schismes, les superstitions et les hérésies, et je les ai combattus, écrasés, renversés, et, Dieu aidant, je ne cesse de les renverser autant qu'il dépend de moi. Depuis que, malgré moi, je me suis chargé du fardeau de l'épiscopat, et, que, envoyé par le pieux Louis, fils de la sainte Eglise de Dieu, je suis arrivé en Italie, j'ai trouvé à Turin toutes les basiliques remplies de souillures dignes d'anathème et d'images, contrairement à l'ordre de la vérité; et, comme tout ce que les autres adoraient, seul je l'ai renversé, c'est aussi sur moi seul qu'on s'est acharné. C'est pour cela que tous ont ouvert leur bouche pour me calomnier; et, si le Seigneur ne m'eût été en aide, ils m'auraient peut-être dévoré vif. Ce qui est dit clairement: Tu ne le feras aucune ressemblance des choses qui sont au ciel, ni sur la terre, etc., s'entend non-seulement de la ressemblance des dieux étrangers mais aussi des créatures célestes et de ce que l'esprit humain a pu inventer en l'honneur du Créateur.La lecture attentive de cette lettre montre avec évidence le caractère chrétien et éminemment évangélique de Claude de Turin. On y voit que la source où il puise son courage et sa fidélité est la Parole de Dieu, et l'on peut conclure de l'emploi continuel qu'il fait de l'Ecriture dans ses écrits, qu'il l'a prêchée (7) et répandue dans son diocèse; qu'il a dû donner un élan nouveau a l'étude des saintes lettres, - exciter les ministres de la religion à n'enseigner que ce qu'elles contiennent, et conduire les brebis confiées à ses soins au seul Berger céleste qui puisse les paître et les sauver éternellement. Il est facile de se figurer l'immense influence qu'a dû exercer un tel homme durant un épiscopat de dix-sept ans environ. Et lors même qu'on réussirait à prouver, ce qui n'est pas possible, que son oeuvre a été isolée, sans antécédents, sans conséquences ultérieures remarquables; si l'on démontrait que les évêques qui le suivirent ont tous travaillé à la détruire, il n'en demeurerait pas moins certain qu'elle a eu lieu, et il resterait toujours la possibilité, bien plus la probabilité, qu'elle se sera perpétuée après lui dans bien des coeurs, tout au moins dans quelqu'une des parties de son vaste diocèse, dans les vallées des Alpes Vaudoises, par exemple, moins exposées que la plaine au brusque envahissement de l'autorité des papes. Mais cette supposition extrême d'un ministère insolite n'est ni vraie ni soutenable. Claude de Turin n'a pas été un novateur. Son oeuvre n'a pas été isolée. Tout ce que nous avons rapporté de la résistance de l'Eglise fidèle le prouve. C'était déjà dans ces mêmes contrées, on dans les contrées voisines, que Vigilance avait trouvé un refuge auprès d'évêques professant comme lui une doctrine opposée au culte des images et des saints, aux cérémonies sur les tombeaux, aux pèlerinages, aux jeûnes, au célibat des prêtres et à la vie monastique. N'oublions pas que Serenus, de l'autre côté des Alpes, au commencement du Vlle siècle, avait accompli une oeuvre pareille à celle de Claude de Turin, dans le diocèse de Marseille; qu'au Vllle siècle, de, nombreux prélats français s'étaient opposés à l'introduction des mêmes erreurs et aux altérations de doctrine que Boniface prêchait. Enfin, nous avons rappelé que la majorité des évêques des vastes états de Charlemagne dont Turin et le Piémont faisaient partie, avaient résisté, dans le concile de Francfort, l'an 794, aux sollicitations, aux prières et aux ordres des légats du pape, et rejeté le même culte des images que Claude de Turin bannit de son diocèse (8).
Non, l'oeuvre de ce pieux
évêque n'a pas été isolée. Eu ces temps-là, la lutte contre les erreurs de Rome se continuait avec vigueur dans diverses contrées, et si les partisans du culte des images avaient quelquefois la victoire, comme il paraît qu'ils l'avaient eue sous l'épiscopat du prédécesseur de Claude de Turin, c'était pour se la voir bientôt disputée de nouveau et, souvent enlevée. Le père Pagi lui-même, dans son Abrégé d'Histoire chronologique, critique, etc., citant Denys de Padoue, après avoir fait quelques aveux assez curieux sur l'introduction des images (9)
et sur les prétendus motifs qui la justifient aux yeux des catholiques romains, reconnaît : « Qu'il n'est nullement constaté que cela (cette introduction) ait eu lieu partout, ni de la même manière - mais que cela se fit ici plus tôt, là plus tard, selon la portée et le naturel des peuples, et selon que ceux qui les dirigeaient le jugeaient convenable (expedire judicabant). Mais les paroles mêmes de Claude, dans sa lettre à l'abbé Théodémir, nous font voir avec clarté que l'évêque de Turin a continué une oeuvre commencée : « Je n'enseigne point une nouvelle secte, écrit-il, moi qui reste dans l'unité et qui proclame la vérité. Mais, autant qu'il a dépendu de moi, J'ai étouffé les sectes, les schismes, les superstitions et les hérésies, et je les ai combattus, écrasés, renversés, et, Dieu aidant, je ne cesse de les renverser autant qu'il dépend de moi. » Qui ne voit, qu'en s'opposant dans son diocèse au culte des images, Claude de Turin a estimé demeurer dans l'unité, défendre la vérité, la vérité encore connue et encore vénérée ? Qui ne voit qu'en réformant des abus déjà introduits, Claude de Turin a voulu réprimer une secte, envahissante peut-être, mais enfin une secte, combattre un schisme, arrêter des superstitions et une hérésie? La vigueur des expressions que Claude de Turin emploie pour désigner les partisans du culte des images, et l'énergie de ses remontrances, nous montrent aussi un homme qui attaque l'ennemi, plutôt qu'il ne se défend, tant il se sent lui-même à l'abri du danger par la force même de sa position. Le dédain avec lequel il parle des prétentions de Rome et du pape (10) lui-même, qu'il compare aux scribes et aux pharisiens assis dans la chaire de Moïse, ne nous donne pas seulement à connaître la mesure de son courage, mais aussi celle de sa force. Enfin, ce qui achève de démontrer que l'oeuvre de Claude de Turin n'est pas celle d'un novateur isolé, sans antécédents dans le diocèse même ni au-dehors, c'est son plein succès. Les images furent ôtées de toutes les basiliques; il est vrai, au mécontentement de ceux qui le montraient au doigt, mais sans que cet acte ait fait naître nulle part une opposition sérieuse. Il paraîtrait même que, comme il n'est parlé que de leur expulsion des basiliques, le culte des images n'avait point encore envahi les campagnes, mais seulement Turin, et peut-être les villes importantes du diocèse. Chacun comprendra qu'une oeuvre accomplie, presque sans résistance, dans un immense territoire, suppose l'adhésion de la masse du clergé et de l'Eglise à cette oeuvre. Et, si l'on réfléchit que Claude de Turin administra son évêché durant quinze ans au moins, on se convaincra que son zèle et sa fidélité, secondés par un clergé intelligent et dévoué, par l'amour des fidèles et la conscience du peuple, ont dû imprimer à la cause des saines doctrines et de la vie chrétienne un mouvement qui ne pouvait s'arrêter de sitôt. Il peut ne pas être sans intérêt de joindre à ce qui précède le témoignage d'un auteur moderne piémontais: « Quoi qu'il en soit, nous dit-il, cet évêque de Turin, homme éloquent et de moeurs austères, eut un grand nombre de partisans. Ceux-ci, anathématisés par le pape, poursuivis par les princes laïques, furent chassés de la plaine et forcés de se réfugier dans les montagnes, où ils se maintinrent dès-lors, toujours comprimés et toujours cherchant à s'étendre. » (Mémoires historiques.... par le marquis COSTA DE BEAUREGARD, t. II, p. 50, 3e mém.)
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