Le "Da Vinci Code"

par Ben Witherington III

Dren Théologie de l'Université de Durham (Angleterre)

Professeur de Nouveau Testament au séminaire théologique d'Asbury

Spécialiste du Jésus historique

Voir aussi article sur Les Apocryphes du N.T.

Au mois de mai 2004 le roman Da Vinci Code s'était vendu à 7,5 millions d'exemplaires. En France, ils est un phénomène de vente, best-seller depuis des semaines.

Le livre Da Vinci Code commence avec une page intitulée : FAITS qui prétend, entre autres, que "toutes les descriptions des documents de ce roman sont exactes." Cela n'est malheureusement pas vrai. 

Et bien que cette page FAITS donnera à de nombreux lecteurs la fausse impression que ce roman Da Vinci Code est basé sur une recherche historique exacte, la vérité est qu'il se base sur toutes sortes de conjectures - certaines savantes et d'autres non. 

Et bien que ce livre Da Vinci Code prétende se baser sur des livres historiques, tels que les évangiles gnostiques, il n'est pas fondé sur l'Histoire. Le résultat est plus proche de la fiction pure que de la fiction historique.

Voici quelques erreurs fondamentales que j'ai relevées :

1. Le Da Vinci Code prétend que les évangiles canoniques ne seraient pas les évangiles les plus anciens. Les évangiles gnostiques (Evangile de Philippe ou de Marie), supprimés par l'Eglise, seraient plus authentiques.

Cette déclaration est formulée plusieurs fois par les protagonistes du livre, Teabing et Langdon, dépeints tous les deux comme des savants et donc dignes de confiance dans ce domaine. Ils déclarent également que les 4 évangiles canoniques furent sélectionnés parmi 80 autres, le reste étant supprimé. 

En réalité, il n'existe que la moitié du nombre cité que l'on peut qualifier d'évangiles (c'est-à-dire un récit de la vie de Jésus). Parmi les 35 évangiles non canoniques, s'en trouvent deux que Dan Brown utilise beaucoup pour réécrire la vie de Jésus : l'Evangile de Philippe et l'Evangile de Marie. Il n'existe aucune évidence crédible prouvant que ces écrits aient été composés avant la fin du IIe siècle. De nombreux savants sont même persuadés qu'ils viennent du IIIe siècle de notre ère. Quant aux évangiles canoniques, aucun savant, quelque soit sa persuasion dans le domaine théologique, ne les place après la deuxième moitié du Ier siècle ou le tout début du IIe siècle pour l'Evangile selon Jean. La plus ancienne portion des Evangiles en notre possession est le papyrus John Ryland (qui contient un extrait du chapitre 18 de l'Evangile selon Jean) daté de 125.

Le Gnosticisme est venu plus tard est qu'il s'appuie justement sur les évangiles canoniques ! Plus frappant encore est le fait que les textes gnostiques tentent de "dé-judaïser" l'histoire du Nouveau Testament. Je veux dire par là que le gnosticisme révèle une croyance sur le monde matériel (présenté comme impur) qui contredit tout l'Ancien et le Nouveau Testament qui affirment la valeur de la création de Dieu, de l'univers matériel, de la masculinité et de la féminité, et des relations sexuelles entre un homme et sa femme. Le gnosticisme, par contre, ne qualifie de bon que le spirituel et considère la matière comme irrémédiablement mauvaise. La communauté de Nag Hammadi qui a inventé les évangiles gnostiques était en marge de la chrétienté et vivait dans un certain ascétisme, comme l'attestent leurs documents.

Dan Brown passe à côté de ces faits et confond la théologie gnostique avec le paganisme, une forme de paganisme qui croit que la sexualité sacré est un moyen d'atteindre à la divinité, à la Féminité Sacrée. C'est très éloigné des évangiles gnostiques. Et pourtant, l'un des protagonistes appelle ces évangiles "les Evangiles inaltérables".

2. Le Da Vinci Code prétend que Jésus serait dépeint comme un simple homme ou un grand prophète dans les sources anciennes mais aurait été divinisé plus tard au Concile de Nicée en 325 de notre ère.

Cette affirmation est complètement fausse. Jésus est appelé theos (Dieu) au moins 7 fois dans le Nouveau Testament, y compris dans l'Evangile selon Jean, et il est appelé Seigneur dans le sens divin de très nombreuses fois. Je ne connais aucun historien qui affirme que ces textes du Nouveau Testament ont été écrits après le Concile de Nicée. En réponse aux attaques de l'Arianisme qui mettait en doute la divinité de Jésus-Christ, le concile du IVe siècle ainsi que le Concile de Chalcédoine au Ve siècle, ont formalisé et clarifié cette croyance du Ier siècle pour l'ajouter aux confessions de foi.

3. Le Da Vinci Code prétend que Constantin était un méchant qui aurait fait détruire les évangiles les plus anciens (les Gnostiques) et aurait imposé à l'Eglise les évangiles canoniques ainsi que la doctrine de la divinité de Christ.

En fait, bien avant les jours de Constantin et bien avant l'existence des évangiles gnostiques, les 4 évangiles canoniques étaient en circulation dans les églises comme sources d'autorité. Cela remonte au moins à 125 de notre ère puisque Irénée les mentionne; le fragment de Muratori (la plus ancienne liste des livres canoniques, datant du IIe ou IIIe siècle) contient les 4 évangiles. Au second siècle encore, l'hérétique Marcion regardait l'Evangile selon Luc comme le seul valable sur l'historicité de Jésus. Il est faux de dire que les évangiles gnostiques ont été supprimés au moment de la désignation du canon. Ils ne furent jamais reconnus comme authentiques, ni par l'Eglise d'Orient ni par celle d'Occident. La mise à l'écart n'est pas la même chose que la destruction.

4. Le Da Vinci Code prétend que Jésus se serait marié avec Marie de Magdala.

Puisque le Nouveau Testament est complètement silencieux à ce sujet, on est obligé de se tourner vers des sources plus tardives, en particulier l'Evangile de Philippe, écrit probablement à la fin du IIIe siècle. Malheureusement, la portion qui intéresse Dan Brown est très incomplète; on y lit : "Et le compagnon des... Marie de Magdala... elle plus que... les disciples... l'embrasse... sur sa..." (Evangile de Philippe 63/33-36).

Comme le Professeur Karen King l'indique dans son ouvrage "L'Evangile de Marie de Magdala", il s'agirait ici d'un chaste baiser fraternel, le saint baiser mentionné par Paul dans ses lettres (1 Corinthiens 16 par exemple). Ce qui appuie cette interprétation est que ce document provient des Gnostiques pour qui l'expression sexuelle est l'inverse du spirituel, c'est-à-dire infâmante.

Le héros savant de Brown, Mr Teabing, soutient que le mot 'compagnon' dans ce passage signifie 'épouse' parce que c'est ainsi que l'araméen le définit. Malheureusement, ce document n'a jamais été écrit en araméen ! Comme les autres évangiles gnostiques découverts à Nag Hammadi en Egypte, ils sont écrits en Copte. Le mot utilisé pour désigner le compagnon (koinonos) ne signifie pas "épouse". Un autre mot, d'origine grecque, gune, aurait dû être employé. Le mot koinonos signifie sans doute "soeur" au sens spirituel car c'est ainsi qu'il est utilisé dans le reste de cette littérature. Pour conclure sur ce point, l'Evangile de Philippe ne dit pas que Jésus et Marie de Magdala soient mariés.

5. Le Da Vinci Code prétend que Jésus aurait dû être marié parce qu'il était juif.

Cet argument oublie qu'il existait des exceptions à cette sorte de règle dans le judaïsme antique. La description des Esséniens célibataires par F. Josèphe (Antiquités XVIII, 1,5,20-21) et de Philon d'Alexandrie (Hypothetica XI, 14-17), et l'infime nombre de squelettes féminins retrouvés dans le cimetière de Qumran que de nombreux savants attribue aux Esséniens, démontre que certains juifs de cette époque étaient attachés au célibat. De nombreux théologiens considèrent que les paroles de Jésus rapportées en Matthieu 19/10-12 au sujet de ceux qui se rendent eunuques pour le Royaume de Dieu, s'appliquaient à Jésus lui-même. Le Royaume était en route et il était approprié pour Jésus et ses disciples de rester célibataires pour se concentrer sur leur ministère. 

6. Le Da Vinci Code prétend que Les Manuscrits de la Mer Morte avec les textes gnostiques trouvés à Nag Hammadi forment les textes les plus anciens du Christianisme.

Cette affirmation est une grosse bourde qu'un étudiant en première année du N.T. repérerait tout de suite. Les manuscrits de la mer Morte sont des écrits exclusivement juifs. Il n'y a rien de chrétien chez eux. Il n'existe également aucune évidence que les écrits de Nag Hammadi soient plus récents que la fin du IIe siècle après Jésus-Christ.

7. Le Da Vinci Code prétend que l'Eglise a effacé le fait que Jésus ait été marié et ait eu des enfants à cause de ses tendances ascétiques et de la supposition qu'une personne divine ne pourrait pratiquer de telles choses.

Nous arrivons maintenant à la base des théories de Dan Brown. Lors d'un chapitre capital du livre, le personnage de Teabing affirme que l'Eglise a du supprimer l'idée que Jésus puisse être marié parce que "un enfant de Jésus saperait la divinité de Christ et toute l'église avec." Teabing semble suggérer que si Jésus avait eu une femme et des enfants, il se serait souillé, ou bien qu'en tant qu'être divin il ne pouvait accomplir des actes purement humains. Ce n'est pas ce que les credos suggèrent, puisqu'ils défendent l'idée que Jésus était pleinement Dieu et pleinement homme à la fois.

Jésus n'a jamais enseigné que la relation sexuelle souillait. Au contraire, il a rappelé qu'elle unit deux êtres en une seule chair. On ne voit pas pourquoi les auteurs juifs des Evangiles auraient supprimé le fait que Jésus soit marié. Cela n'aurait pas, à leurs yeux, annulé sa divinité. Après tout, c'est Dieu qui a créé la sexualité au commencement. C'est bien plus tard (IIe et IIIe siècles) que la piété ascétique (chrétienne et gnostique) a eu des problèmes avec ces choses.

Conclusion sur le Da Vinci Code

Le livre Da Vinci Code de Dan Brown suggère que la foi ne s'occupe pas de vérité historique. On se rappelle les paroles du héros qui affirmait au début que "toute foi est basée sur une fabrication" et que "les problèmes surgissent quand on croit littéralement à ses propres métaphores". Pourtant il défie lui-même les faits historiques en accordant du crédit à cette histoire de mariage entre Jésus et Marie de Magdala. Brown n'a pas compris que le christianisme premier, comme le judaïsme antique, ne s'attache pas aux symboles et aux métaphores. Ils s'occupe de vérités ancrées dans des faits historiques, que ce soit l'Exode des Hébreux, le règne du roi David ou la mort et la résurrection de Jésus.

Biens sûr, il arrive parfois que ces vérités soient exprimées sous forme de symbole ou de métaphore, comme dans les Paraboles de Jésus. Mais les récits des évangiles ne sont pas des allégories ni des fables bien conçues. Ils sont des biographies antiques écrites suivant les conventions littéraires et historiques de leur époque. Elles sont basées, comme l'évangéliste Luc l'atteste dans les premiers versets de son Evangile, sur le rapport de témoins oculaires. La foi chrétienne, comme la foi judaïque, n'est pas une simple croyance qui est devenue réalité. Elle est basée sur certains faits historiques irréductibles.

Dan Brown n'a pas non plus saisi le caractère de Dieu tel qu'il est présenté dans la Bible. Il ne cesse pas de faire référence à la suppression du Sacré Féminin (ou est-ce l'aspect féminin de Dieu?) par l'Eglise, alors que la Bible témoigne clairement que Yahvé n'est ni masculin ni féminin. Dieu le Créateur est Esprit (voir par ex. Genèse 1 ou Jean 4.24). La Bible n'a pas remplacé les antiques divinités féminines par une divinité masculine. Les juifs et plus tard les chrétiens constituaient en leur temps une infime majorité à croire que Dieu était Esprit. Ce Dieu n'était pas un simple participant aux cycles de la Nature comme les dieux de la moisson (Baal) ou de la fertilité (Magna Mater). Ce Dieu était le créateur de toute vie et de tout l'univers matériel.

Contrairement au Da Vinci Code, la Bible n'enseigne pas que l'on entre en union avec Dieu par la hieros gamos, le sexe sacré. En fait, aucun processus ne peut diviniser un être humain. La vie éternelle est un don de Dieu à son peuple et non un accomplissement ou une expérience induite par l'homme. Les êtres humains ont été créés à l'image de Dieu, ce qui signifie qu'ils ont la capacité d'entrer en pleine relation avec leur Créateur d'une façon que les autres être vivants n'ont pas. Naître est une bonne chose, mais naître de nouveau est encore meilleur, ceci n'étant pas réalisé par la relation sexuelle.

Ce n'est pas un hasard si l'héroïne s'appelle Sophie Neveu - allusion transparente à la Nouvelle Sagesse. Apparemment, Dan Brown essaye de nous vendre une nouvelle sagesse sur les origines du christianisme sous les traits du Sacré Féminin. En faisant ainsi, il dévalue la bonté du Dieu créateur selon la Bible, mais en plus il réduit le processus du salut à une expression sexuelle.

Dans l'une des pièces historiques de Shakespeare sur le roi Henry, le Prince Hal revient d'une nuit de festivités en pensant qu'il a trouvé une nouvelle forme d'amusement. Le roi le réprimande en lui rappelant qu'il n'a fait que "commettre les plus anciens péchés sous une forme nouvelle" (2 Roi Henry IV, 4,5,127). On pourrait dire la même chose de la théorie qui sous tend le Da Vinci Code : ce livre est un mauvais amalgame entre le vieux paganisme et, curieusement, le vieux gnosticisme, remis au goût du jour par un maître conteur. Tout cela serait divertissant si on prenait le Da Vinci Code pour ce que c'est vraiment : non pas une fiction historique mais de la pure fiction. Mais aussi passionnant puisse-t-il être, ce livre Da Vinci Code ne procure pas l'excitation que l'on ressent en découvrant les événements historiques qui ont façonné les contours de notre civilisation moderne.

Ben Witherington

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