PERSÉCUTION ET ÉMIGRATION DES VAUDOIS (1656-1686). Érection du fort de la Tour. - Vexations commises par la garnison. - Condamnation de Vaudois marquants. - Ordre de cesser tout service religieux à Saint-Jean. - Résistance du synode. - Léger condamné à mort. - De Bagnols. - Us bannis. - Une armée surprend Saint-Jean. - Générosité des Vaudois. - Déroute de l'armée. - Médiation de la France. - Démarche des Cantons évangéliques. - Conférence. - Patente de 1664, dite de Turin. - Arbitrage de Louis XIV. - Jours paisibles. - Révocation de l'édit de Nantes. - Exigence du roi de France. - Édit d'abolition du culte évangélique. - Ambassade des Cantons suisses. - Projet d'émigration. - Indécision des Vallées. - Attaques contre celles-ci par Catinat et l'armée de Savoie. - Soumission des Vaudois. - Leur emprisonnement. - Leidet martyr. - Négociations des Cantons pour la délivrance des prisonniers et leur départ pour la Suisse. État des Vaudois dans les forteresses. - Leur voyage au coeur de l'hiver, et leur arrivée à Genève.
Si la période précédente a mis sous nos yeux un spectacle lamentable et fait entendre à nos oreilles les complots des grands, les cris de fureur des sicaires de Rome, les gémissements et les pleurs des victimes, la période dans laquelle nous entrons ne nous attristera guère moins. Quoique moins sanglante, elle déroulera devant nous de nouvelles preuves de cette haine invétérée que le pouvoir qui s'est intitulé : Conseil pour la propagation de la foi et pour l'extirpation des hérétiques, a nourrie contre de pauvres et paisibles montagnards, haine qui ne pourra s'éteindre que par l'éloignement et la ruine de ceux qui en sont l'objet. Les ambassadeurs des Cantons évangéliques de la Suisse avaient repassé les Alpes, emportant le souvenir consolant des efforts qu'ils avaient faits pour assurer à leurs frères des Vallées une paix supportable. Quelques promesses verbales des agents de la cour leur avaient laissé l'espérance que le traité auquel ils avaient concouru serait exécuté d'une manière large et généreuse. De plus, on était convenu avec eux de la démolition du fort de la Tour, pour un temps aussi rapproché que le permettrait l'honneur du duc, qui ne devait pas paraître fléchir devant ses sujets. Mais les faits ne répondirent nullement aux paroles. Non-seulement les clauses de la patente de Pignerol, les plus défavorables aux Vaudois, furent maintenues dans leur rigueur, mais l'on se hâta encore de mettre à exécution l'article qui avait été trompeusement intercalé dans les exemplaires imprimés et qui, contrairement, aux promesses faites à l'ambassade suisse, statuait qu'une forteresse serait construite sur l'ancien emplacement du château de la Tour, démoli par les Français en 1593. Les députés des Cantons évangéliques n'avaient pas encore quitté Turin que les travaux commençaient déjà, et que l'on jetait les fondements d'une redoutable citadelle, sur le lieu même où les soldats du comte de la Trinité avaient commis tant de violences, et d'où Castrocaro avait commandé en maître sur toute la vallée. Hirzel et ses collègues, avertis à temps demandèrent des explications. Il leur fut répondu que ce qui se faisait ne subsisterait pas longtemps, et même ne serait jamais achevé; que ces travaux n'avaient lieu que pour sauver l'honneur du duc. Fidèles aux traditions de la loyauté helvétique, les ambassadeurs incapables eux-mêmes de tromper, ne soupçonnèrent pas de mensonge un gouvernement qui leur donnait sa parole. Ils rassurèrent donc les gens des Vallées émus et inquiets, et leur conseillèrent la patience et la soumission (1). Les Vaudois n'étaient certes pas aussi confiants ; l'expérience du passé et le voisinage du danger les éclairaient. Néanmoins ils se soumirent, habitués qu'il étaient à s'incliner devant la volonté du souverain, dans tout ce qui n'était pas du domaine de la foi. Les travaux furent poussés avec tant d'activité, qu'avant l'hiver, la place était en état de défense., et que l'année suivante les fortifications furent achevées. Si la construction d'une citadelle fut pour les Vaudois une occasion de craintes sérieuses pour leur avenir, la puissante garnison qu'on y plaça devint une cause immédiate et constante d'humiliation, de dommages et de troubles. Les soldats commirent toute sorte d'excès, certains qu'ils paraissaient être de l'impunité dans la plupart des cas. C'était un jeu pour eux que de dévaster les vergers et les vignes, d'entrer dans les maisons, d'y saisir ce qui leur agréait, de s'y gorger de vin et de vivres, de gâter ou de répandre à terre ce qu'ils ne pouvaient emporter, de maltraiter ceux qui voulaient protéger leur bien, et de se conduire avec indécence envers les femmes et les filles. Frapper du sabre, tirer à bout portant, prendre le bien d'autrui, outrager le sexe, étaient des événements journaliers. Le viol et l'assassinat furent même commis. Les plaintes portées restaient sans résultat : Saisissez les coupables et me les amenez, disait le commandant de Coudré, et je vous promets de les punir. Mais lorsqu'un jour des paysans lui amenèrent deux soldats qu'ils avaient arrêtés, tandis qu'ils dévalisaient une maison et en maltraitaient les maîtres, le commandant ne les fit conduire en prison que pour les relâcher sitôt après que les plaignants eurent tourné le dos. Les dénonciations faites au président Truchi ou à l'intendant de la justice, bien qu'accompagnées des pièces nécessaires pour constater le délit et désigner les coupables, restèrent de même sans effet. Aussi vit-on plus d'une fois les Vaudois, irrités de l'audace croissante de leurs mauvais voisins, défendre leur propriété menacée, ou la reprendre de leurs mains, lorsqu'ils se sentaient les plus forts.
À cette cause permanente d'inquiétude s'en joignit bientôt une autre. Des accusations sans motif furent portées contre des personnes marquantes. Le conseil pour la propagation de la foi et l'extirpation de l'hérésie ne trouva pas de moyen plus sûr pour se défaire des hommes dont il redoutait l'influence, et pour intimider ceux qui auraient eu l'intention de marcher sur leurs traces; Ainsi, tout-à-coup, trente-huit personnages de la vallée de Luserne reçurent l'ordre de se rendre à Turin pour y répondre aux demandes qui leur seraient adressées. Le vaillant capitaine Janavel, le héros de Rora, était du nombre. Les deux premières citations ne renfermaient d'ailleurs aucune explication. La troisième et dernière mentionnait seule le crime qu'on leur imputait et leur dénonçait leur condamnation par contumace s'ils refusaient de se présenter. Cette manière de procéder était contraire aux concessions et privilèges des Vallées, confirmés par la patente de Pignerol. Régulièrement, ils n'étaient pas tenus, soit pour la première, soit pour la seconde instance, au criminel comme au civil, de répondre ailleurs que devant leurs tribunaux. À ce premier motif de ne pas paraître à Turin, l'on peut en ajouter un second d'une importance beaucoup plus grande encore. L'inquisition siégeait à Turin; on connaît le droit qu'elle s'est toujours arrogé de saisir ses victimes où elle les trouvait, malgré les sauf-conduits des princes, et de les enlever à la juridiction de ceux-ci pour les traiter elle-même dans ses cachots selon son bon plaisir. Chacun sait ce qu'était sa justice ou sa miséricorde. Malheur à qui apprenait à connaître l'une ou l'autre. L'on ne s'étonnera donc point que, des trente-huit accusés, un seul, Jean Fina de la Tour, alla se livrer entre les mains du sénat à Turin (2); les autres s'abstinrent. Le jugement par contumace les condamna, les uns aux galères, les autres à la mort. Les biens de tous furent confisqués, leur tête mise à prix. Défense était faite de leur accorder asile; ordre était donné de leur courir sus en masse au son des cloches, lorsque la présence de l'un d'entre eux serait signalée. Ce jugement servit de prétexte aux soldats du fort de la Tour pour violer le domicile de qui ils voulaient et pour commettre mille exactions.
Jusqu'ici l'exercice de la religion avait eu lieu librement, et les Vaudois satisfaits s'étaient résignés aux maux que nous avons signalés, trop heureux de pouvoir servir Dieu selon leur conscience. Mais les coeurs se serrèrent d'appréhension, lorsqu'en 1657 déjà, ou fit défendre, dans toute l'étendue de l'Église et de la commune de Saint-Jean, tout exercice public de religion, non-seulement les prêches interdits par la patente de Pignerol, mais les catéchismes, les prières et même les écoles. Les Vallées s'alarmèrent à juste titre de cette défense. Les patentes et concessions ducales portaient toutes que les exercices usités étaient maintenus dans tous les lieux où ils étaient pratiqués à la date de la promulgation desdites concessions ou patentes. Or, des vieillards centenaires, comme aussi les actes et procès-verbaux authentiques des conseils généraux, rédigés en présence des seigneurs et des juges du lieu, attestaient que l'Église de Saint-Jean avait joui de tout temps du privilège des services religieux en public, comme dans le reste des Vallées. Il ne s'était élevé jusqu'alors de contestation que sur l'érection d'un temple, construction à laquelle l'autorité s'était opposée, sans nier toutefois aux habitants de Saint-Jean leur droit ancien de s'assembler pour l'exercice de leur religion. Si donc l'Église de Saint-Jean et les autres Églises des Vallées laissaient s'accomplir, sans se défendre, l'anéantissement de tout culte évangélique ou vaudois dans Saint-Jean, que deviendraient bientôt les autres Eglises ? Car, qui pourrait douter que le succès, obtenu sur une des plus éclairées et des plus affermies, n'encourageât le conseil pour l'extirpation de l'hérésie à enjoindre successivement la même défense à toutes les autres. L'Église vaudoise, dont la vie était mise en question par cette atteinte à ses libertés, se réunit en synode pour délibérer sur les mesures que réclamait sa situation. L'assemblée tenue en mars 1658, à Pinache, décida d'adresser une requête à son altesse royale et d'écrire à ses ministres, pour demander humblement la révocation des ordres sévères, proscrivant tout service religieux dans Saint-Jean. Elle crut devoir aussi réclamer les bons offices de M. Servient, ambassadeur de France, comme médiateur de la patente de Pignerol, et ceux des Cantons évangéliques qui y avaient pris tant d'intérêt. Elle estima, en outre, que le pasteur de Saint-Jean devait continuer à y faire les services religieux usités, de peur que leur cessation ne nuisit à leurs libertés. Enfin, sachant que le Seigneur du ciel et de la terre pouvait seul bénir leur dessein et faire réussir leurs démarches, l'assemblée ordonna un jour solennel de jeune et de supplications, durant lequel, à l'exception des infirmes, nul ne quitterait les temples, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Dans cette résolution de défendre la liberté de culte, attaquée dans l'Église de Saint-Jean, disons-le bien, les Églises des Vallées ne furent point entraînées par un esprit étroit ou tracassier, ni par la sourde ambition, ou par la vanité du pasteur Léger, comme leurs adversaires l'ont affirmé. Des sentiments plus relevés les animèrent. Elles estimèrent qu'il ne leur était pas permis de se laisser enlever par les hommes la liberté de servir Dieu selon les règles de leur antique foi. Ceci dit, nous n'entrerons point dans le détail des requêtes adressées au souverain, ni des mémoires expédiés à ses ministres. La cause de l'Église de Saint-Jean y fut défendue au point de vue du droit, d'après les bases posées par les concessions et patentes ducales. Tout ce qui pouvait être avancé en faveur de l'Église menacée fut dit : mais ce fut en vain. Le parti, il le parait, avait été pris d'avance de ressaisir, par cette voie, l'occasion de troubler les Vallées. Toutefois, il se pourrait qu'on ait hésité en haut lieu sur l'opportunité du moment et sur la manière dont il faudrait procéder ultérieurement contre les récalcitrants. Peut-être aussi, et nous le croirions plus volontiers, que le souvenir de l'intercession récente des états protestants gêna les mouvements impatients du conseil pour la propagation de la foi romaine. Ce qui nous le ferait penser, c'est la part que l'ambassade des Cantons évangéliques, de retour dans sa patrie, continua à prendre aux affaires vaudoises. Elle écrivit à cet effet, le 30 novembre 1657, à l'ambassadeur de France à Turin, Servient, le médiateur de la patente de Pignerol, et aux deux principaux agents du duc, dans cette affaire, pour recommander à leur justice et à leur équité les malheureux Vaudois. Pour soumettre la résistance de ces pauvres gens, on chercha d'abord à gagner Léger. Un comte de Salaces se rendit, aux Vallées et lui fit demander un entretien que Léger ne voulut accorder qu'en la présence de députés de son Église et de députés des autres Églises. Cet abouchement, rendu inutile par la fermeté du pasteur, ne larda pas à être suivi des citations redoutées, enjoignant au dit Léger d'aller rendre compte de sa conduite à Turin. La troisième spécifiait le délit. On l'accusait d'avoir fonctionné comme pasteur, d'avoir enseigné des doctrines et tenu école à Saint-Jean dans la maison de commune. Six notables d'entre ses paroissiens furent cités avec lui. Leur crime était d'avoir assisté aux services religieux présidés par leur pasteur. Ceci se passait en mai 1658. La connaissance qu'on avait de la manière dont l'autorité avait coutume de procéder en pareil cas, ainsi que du crédit sans bornes dont jouissaient les juges désignés, presque tous membres du conseil pour l'extirpation des hérétiques, ne permit à aucun des accusés de se rendre à Turin. Nul ami ne le leur aurait conseillé. Les Églises écrivirent en leur faveur à la cour et aux juges. On adressa plusieurs lettres à son altesse elle-même. On eût pu croire à un jugement plus doux. Mais après environ trois ans d'attente, de recours et de députations, une sentence de mort contre Léger, et de dix ans de galères contre les autres accusés fut prononcée, les biens de tous furent confisqués. Sous le poids de cette condamnation, Léger réussit, en se cachant et en changeant sans cesse de refuge, à demeurer encore quelques mois dans sa patrie jusque vers la fin de 1661, que les Vallées le députèrent auprès des Cantons évangéliques et des états protestants pour les intéresser à leur cause: il reçut pour mandat de les supplier d'employer leur intercession auprès du duc, et leurs bons offices auprès du roi de France en sa qualité de médiateur du traité de Pignerol, pour obtenir de Charles-Emmanuel le consentement d'examiner lui-même les plaintes de ses sujets vaudois et d'en juger, sans mettre ceux-ci à la discrétion du conseil pour l'extirpation des hérétiques.
À peine eut-on connaissance du départ de Léger pour les Cantons et les États évangéliques qu'une sentence de mort plus cruelle fut prononcée contre lui (3). On le pendit en effigie, on rasa ses maisons, on confisqua ses biens qui étaient considérables. On démolit de même la maison du vaillant Janavel alors fugitif.
D'ailleurs, au moment où Charles-Emmanuel fit cette réponse à l'envoyé des Cantons évangéliques, son ministre Pianezza, tout puissant auprès de lui, venait d'obtenir par ses intrigues un succès qui l'autorisait à persister dans sa politique et à ne rien céder de ses prétentions. Par l'entremise de l'avocat papiste, Bastie, de Saint-Jean, en qui les Vaudois de cette commune avaient quelque confiance, il avait fait croire à ceux-ci, qu'en faisant acte de soumission, ils obtiendraient la liberté religieuse qu'ils demandaient. Ces hommes, simples et faciles à tromper, avaient à la fin, quoiqu'avec répugnance, écrit et signé deux actes; savoir, une promesse de ne plus faire de catéchisme et autres exercices religieux dans l'étendue de la commune de Saint-Jean, et en second lieu une requête dans laquelle ils demandaient de les pouvoir continuer comme du passé. Ils réclamaient en même temps quelques avantages de commerce et d'autres encore. Bastie leur avait solennellement promis de ne se dessaisir de la promesse que lorsque le décret réclamé dans la requête aurait été accordé et remis entre ses mains. Mais le contraire de ce qu'on leur avait promis avait eu lieu. Pianezza avait retenu la promesse et rejeté avec dédain la requête, dès qu'il en avait lu le second article qui parlait de religion. Sur cela, on avait de nouveau conseillé aux Vaudois de faire une autre requête, dans laquelle il ne serait plus fait mention de religion, leur promettant qu'alors on leur accorderait tout ce qu'ils souhaiteraient et qu'on les laisserait en repos, Mais eux, honteux et navrés de s'être laissés tromper à ce point, se refusèrent à des démarches ultérieures. Ils avaient déjà compromis gravement leur situation par l'imprudente promesse restée entre les mains du premier ministre. Ils ne voulaient pas achever de se donner tous les torts par de nouveaux actes de faiblesse que leurs habiles adversaires sauraient bien faire tourner contre eux. Si les affaires vaudoises avançaient peu à la cour, Si les efforts de leurs amis y restaient infructueux, la situation ne s'améliorait pas non plus aux Vallées : au contraire, elle se compliquait toujours davantage par le fait des mesures violentes du gouverneur du fort de la Tour et par les représailles que se permettaient les bannis.
Au commandant de Coudré venait de succéder un officier nommé de Bagnols, qui s'était signalé par son zèle cruel dans les massacres de 1655. L'amitié que lui portait le marquis de Pianezza, son parrain, et sa proche parenté avec le comte Ressan, bien connu par sa haine pour les Vaudois et par ses succès contre eux dans la vallée de Barcelonnette, l'avaient fait nommer à ce poste, auquel il convenait si bien. Cet officier répondit tellement à la confiance que ses hauts protecteurs avaient en lui, il se montra si violent et si injuste que le comte de Salaces, dans son histoire militaire, convient que ce gouverneur « a abusé de son pouvoir et » donné aux Vaudois de justes sujets de plainte (4).» À peine arrivé, il emprisonna un grand nombre de malheureux et les traita avec dureté. Il chargea aussi un agent de justice de leur arracher de prétendus aveux et de les forcer en quelque sorte à les signer sous la promesse d'améliorer leur position, mais en réalité pour établir leur culpabilité par des accusations réciproques. De Bagnols lâcha, en outre, la bride à ses soldats, qui se permirent, impunément des violences de tout genre. Il fit plus, il établit à Luserne un bandit fameux, Paol (Paolo, Paul) de Berges, condamné pour meurtres, puis gracié à l'occasion du mariage de son altesse. Cet homme de sang ayant réuni autour de lui environ trois cents mauvais sujets, saccageait la vallée de concert avec les troupes du fort. La crainte qu'inspirèrent bientôt Paol de Berges et de Bagnols fut telle, qu'en cette année 1662, les habitants de Saint-Jean, de la Tour, de Rora et des Vignes de Luserne,
épouvantés, prirent la fuite au moment où ils auraient dût faire leurs moissons.
La vigueur déployée précédemment contre un grand nombre de Vaudois condamnés, par contumace, et, en dernier lieu contre les populations du voisinage du fort, avait forcé les premiers à prendre les armes pour protéger leur vie constamment menacée, et les derniers à se joindre en grand nombre aux bannis dont le courage excitait le leur. Josué Janavel, le héros de Rora, condamné à être écartelé, et sa tête, à être ensuite exposée en un lieu élevé, avait vu se réunir autour de lui les bannis et les fugitifs que son grand courage, son intrépidité, sa prudence et son expérience consommée remplissaient de confiance. Au nombre de deux, à trois cents, par petites troupes, ou réunis, ils opposèrent une résistance armée, redoutable aux bandes de Bagnols et de Paol de Berges. Quelquefois même, se jetant à l'improviste sur leurs ennemis, ils eurent des succès signalés. On les vit aussi, il est vrai, attaquer des populations paisibles à Briquéras, à Bubbiana, par exemple, et piller jusqu'aux églises de leurs adversaires. Aussi fit-on plus d'une fois aux bannis le reproche de vivre comme des bandits. Mais n'oublions pas en les jugeant, qu'ils n'avaient plus ni feu, ni lieu, et que le sentiment de l'injustice dont ils étaient l'objet, ainsi que la perspective de la ruine qu'on avait jurée à leurs Vallées, ne leur laissait pas toujours la liberté de se conduire avec la modération désirable.
Quelque accusation qu'on ait portée contre les Vaudois, quelque apparence d'imprudence qu'ait pu avoir leur conduite, au jugement de certaines personnes, il est dans leur histoire des faits qui démontrent leur probité et leur sincère désir de complaire à leur prince toujours affectionné. Nous en donnerons ici un exemple frappant. Les populations vaudoises en armes fermaient aux troupes du duc le passage qui conduit au fond de la vallée de Luserne, ce qui rendait impossible le ravitaillement du fort de Mirebouc, situé dans. les montagnes, vers la frontière de France, et alors dépourvu de vivres et de munitions. Les généraux du duc rassemblent les principaux des communes et leur demandent de donner au souverain une preuve de leur soumission et de leurs bonnes intentions, en escortant un convoi qui est en route pour le fort, les assurant que, s'ils y consentent, la paix se rétablira bientôt. On le croira difficilement, tant le fait est extraordinaire, l'offre fut acceptée. Les Vaudois dévoués craignirent moins de compromettre leur sûreté que de paraître se défier de leur prince et de se refuser à lui donner, les premiers un gage de leur amour. Ils conduisirent le convoi à sa destination, et la forteresse qui leur fermait le passage en France, fut ravitaillée par leurs propres soins (5).
Ayant laissé un parti en observation sur ces hauteurs, ils se dirigent vers les Plans, où de Fleury a retranché sa division. Mais le petit détachement de la porte d'Angrogne ne voit pas plutôt ses frères à ses côtés que deux de ses hommes, Boirat de Pramol et un autre, se traînant sur leur ventre et masqués par un rocher, s'approchent du camp, tuent chacun une sentinelle, franchissent le rempart, massacrent encore quatre ennemis, au cri répété de: Avance! victoire! Les Vaudois, entraînés, s'élancent sur leurs pas avec une ardeur sans pareille. L'armée piémontaise surprise, décontenancée, ne peut se former en bataille et cherche son salut dans la vitesse de sa retraite. Ses chefs, les marquis de Fleury et d'Angrogne, raconte Léger, « craignant la morsure des barbets ne furent pas les derniers à prendre la fuite. » Le nombre des hommes tués dans la déroute fut considérable.
Le duc de Savoie, mécontent de la tournure peu avantageuse à la gloire de sa politique et de ses armes que prenaient les affaires vaudoises, craignant aussi l'intervention officieuse des puissances protestantes, paraissait désirer que le roi de France, dont les sentiments contre les évangéliques concordaient avec les siens, et qui déjà, en 1655, avait été, par son ambassadeur, l'arbitre du traité de Pignerol, offrit encore sa médiation dans ces circonstances. Servient, qui avait été chargé de la conciliation précédente, reçut en conséquence l'ordre de se rendre à Turin et de ménager un accommodement entre les parties; c'était vers la fin de l'été de 1663. À leur arrivée, les délégués des Vallées demandèrent une suspension d'armes pour toute la durée de la négociation. Sans la refuser, la cour y mit pour condition la remise à ses troupes des villages de Prarustin et de Saint-Barthélemi, ce que les délégués n'avaient pas le pouvoir d'accorder. On passa donc aux conférences, en laissant indécise une question aussi grave. C'était une imprudence, car huit jours ne se sont pas écoulés que l'on reçoit à Turin la nouvelle d'un combat, livré le 25 décembre, sur toute la ligne de défense des Vaudois. Le marquis de Saint-Damian, fortifié par l'arrivée de troupes fraîches, avait attaqué à la fois tous les points par lesquels on pouvait pénétrer dans le vallon d'Angrogne, depuis Saint-Germain dans le val Pérouse, jusqu'au Taillaret dans la vallée de Luserne. Plus de douze mille hommes en avaient assailli douze ou quinze cents. Les Piémontais avaient été repoussés avec perte dans toutes leurs tentatives de percer dans les montagnes. Malgré leur supériorité numérique, ils avaient toujours été rejetés les uns sur les autres. Mais ils avaient eu un plein succès dans leur attaque des villages situés aux pieds des monts. Ils s'étaient emparés de Saint-Germain du val Pérouse, l'ayant assailli par le territoire français, infraction dont les députés suisses se plaignirent dans la suite dans un mémoire à Louis XIV, et avaient occupé Prarustin, Saint-Barthélemi et Rocheplatte. Cette affaire enlevait aux Vaudois toutes leurs positions dans la plaine, mais elle démontrait, avec la précédente, l'impossibilité de les forcer dans leurs montagnes.
À la nouvelle de ce combat, les délégués des Vallées à Turin demandèrent de rejoindre leurs familles. Les députés suisses, de leur côté, firent de vives représentations aux ministres de son altesse royale, qui consentirent enfin à signer une trêve pour douze jours, trêve qui fut continuée de huit en huit jours jusqu'à la clôture des négociations, deux mois plus tard, en février 1664. Enfin, par les efforts persévérants des ambassadeurs suisses, on tomba d'accord sur quelques points qui servirent de base à l'édit de pacification ou patente que Charles-Emmanuel accorda, le 14 février 1664, à ses sujets vaudois. Dans sa forme et dans ses termes, cet acte est une amnistie. Le souverain consent à pardonner. Cependant, dans l'intérêt de sa gloire et pour le maintien de son autorité, il se réserve une satisfaction et une garantie d'obéissance de la part des Vaudois. Mais, par égard pour les princes et pour les républiques qui ont intercédé pour eux, par respect en particulier pour la médiation du roi de France, son altesse royale consent à remettre la décision de ces deux points à l'arbitrage de sa majesté très-chrétienne, Louis XIV. Par ce nouvel acte, tous les Vaudois, sauf une liste d'anciens condamnés (trente-six ou trente-sept), sont graciés et remis an bénéfice de la patente de Pignerol (de 1635). Pour plus de clarté, l'art. III de ladite patente relatif à Saint-Jean, et interprété si différemment par les deux parties, est éclairci dans ce sens : « Tout service religieux, prêche, catéchisme, prière, école, autre que le culte de famille, est défendu dans toute l'étendue de la commune; aucun pasteur n'y peut être admis à domicile; toutefois les familles pourront recevoir sa visite, deux fois l'an, et les infirmes selon leurs besoins; en cas de nécessité, dans une de ces visites, le pasteur pourra coucher une nuit dans la commune. L'école, si les parents n'aiment mieux envoyer leurs enfants à celle que le duc se réserve d'établir, devra être transportée au Chabas sur Angrogne. »Un article de la patente impose l'obligation d'obtenir l'agrément du prince pour chaque pasteur étranger qu'on appellera aux Vallées, et qui devra d'ailleurs prêter serment de fidélité. Du reste, à ces restrictions près, la liberté de culte est, dans la patente de Turin, comme dans les précédentes, maintenue aux anciennes Églises des Vallées.
On le voit, quoiqu'en apparence le nouvel édit remit les Vaudois dans la même situation que celle que la patente de Pignerol leur avait faite, et qui était déjà inférieure à celle qu'ils avaient eue antérieurement, ils avaient en réalité perdu plusieurs de leurs privilèges. Le culte public évangélique était entièrement et définitivement enlevé à l'ancienne église de Saint-Jean, ainsi que son école. L'admission des pasteurs indispensables pouvait être gênée. Encore si, par ces conditions nouvelles et désavantageuses, les affaires des Vallées avaient été définitivement arrangées; mais n'oublions pas que la patente de Turin remettait au roi de France le soin de déterminer quelle satisfaction et quelle garantie d'obéissance les Vaudois devraient donner à leur souverain.
1°que son délégué papiste assistât à tous les synodes et autres assemblées du même genre; 2°, que les ministres cessassent de s'occuper d'affaires civiles, et que les communautés ne pussent plus traiter ensemble de leurs intérêts civils et politiques, mais seulement séparément ; 3° qu'on bâtit, aux frais des Vallées, trois ou quatre tours semblables au Tourras de Saint-Michel, où des soldats en nombre suffisant tiendraient garnison, aux dépens desdites Vallées, pour réprimer les soulèvements, le cas échéant, et maintenir le libre commerce d'une vallée à l'autre. Lorsque les Cantons évangéliques de la Suisse eurent reçu connaissance des demandes de la cour de Turin et qu'ils eurent appris que toutes les pièces relatives à cette affaire devaient être soumises à Louis XIV lui-même, ils écrivirent à ce monarque en faveur de leurs protégés, et mirent le roi d'Angleterre et les états généraux de Hollande au courant de ce qui se passait, ce qui amena de la part de ces états des démarches semblables à la leur. Un tel zèle et une si haute intervention exercèrent, sans nul doute, une heureuse influence sur le jugement arbitral d'un roi si peu disposé, d'ailleurs, en faveur des protestants opprimés. Dans son embarras à l'égard du duc, sa décision se fit longtemps attendre et n'intervînt qu'au bout de trois ans environ, le 18 janvier 1667. De plus, quoiqu'il crût devoir poser le principe de la culpabilité des Vaudois, en les condamnant à donner une satisfaction à leur souverain et des garanties d'obéissance pour l'avenir, cependant, dans la fixation de l'indemnité et des preuves de soumission à donner, il rabattit tellement des prétentions du gouvernement du duc que, au fait, le bon droit des Vaudois en ressortit plutôt que d'en avoir reçu quelque atteinte. Au lieu du chiffre de 2,000,000 et plus, auquel on estimait la satisfaction à donner, Louis XIV fixa 50,000 livres de Piémont, payables en dix ans. Quant aux garanties d'obéissance, ce que l'on exigea des Vaudois fut un acte authentique de soumission et une prestation de serment; ils durent aussi consentir à la présence d'un commissaire du duc dans leurs synodes et à quelques autres points de détail. Au reste, Charles-Emmanuel n'abusa point de sa victoire. Loin de là, mieux éclairé, à ce qu'il paraît, sur les vrais intérêts de son gouvernement, et plus libre, peut-être, depuis la mort de sa mère Christine, de suivre les généreux mouvements de son cœur, ce prince rendit justice à ses sujets vaudois. Il se ressouvint du zèle qu'ils avaient déployé pour sa cause, en 1638, 1639 et 1640, lorsqu'une grande partie de ses états avait pris parti pour ses oncles contre lui. Enfin, la guerre qu'il eut à soutenir, en 1672, contre les Génois, et dans laquelle les Vaudois, volant sous ses drapeaux au premier appel, le servirent avec le plus rare dévouement et le plus grand courage, acheva de ramener son coeur à ses fidèles sujets. Satisfait de leur conduite, il leur exprima sa plus complète approbation, dans une lettre pleine de bienveillance, baume restaurant sur les plaies profondes que le fanatisme et la malice de ses serviteurs avaient faites. Les Vaudois, heureux d'occuper une place dans l'amour de leur souverain, espéraient vivre longtemps en paix sous son sceptre maintenant paternel, quand la mort l'enleva le 3 juin 1678 (10).
Les Vaudois goûtèrent encore quelques années de paix, sous la régence de Madame royale, veuve de Charles-Emmanuel, et sous le gouvernement de leur fils Victor-Amédée Il. C'est dans ce temps qu'ils donnèrent une nouvelle preuve de dévouement au prince, en marchant contre les bandits de Mondovi, et en contribuant pour leur part à les soumettre. Mais à l'heure même où ils pouvaient justement se livrer aux plus douces espérances d'une paix durable, il se virent tout-à-coup menacés des plus grands malheurs et entraînés dans la ruine. Des ordres barbares vinrent jeter l'effroi au sein de leurs Vallées. Ils n'eurent bientôt d'autre choix qu'entre l'apostasie, la mort sous mille formes, ou l'exil.
Un roi auquel le siècle a donné le surnom de grand, Louis XIV, qui régnait sur les pays au couchant des Alpes piémontaises, sur le puissant royaume de France, essayait d'expier les fautes de sa vie dissolue par la conversion forcée des protestants de son royaume au papisme. Une telle œuvre ne pouvait manquer de lui assurer une indulgence plénière de la part de l'ennemi juré des chrétiens évangéliques ; savoir, du pape siégeant à Rome. Et, tandis qu'il enlevait à ses sujets de la religion réformée tous leurs droits civils, tandis qu'il révoquait l'édit de Nantes qui les garantissait, tandis que par ces mesures cruelles il poussait à l'apostasie on forçait à l'exil les meilleurs des Français, il excitait son voisin, le jeune duc de Savoie, à abolir aussi l'Église vaudoise. Les Vallées pressentirent leur malheur quand, peu de jours après la nouvelle de la révocation de l'édit de Nantes (du 22 octobre 1685), elles entendirent, le 4 novembre, proclamer la défense à tout étranger d'y demeurer plus de trois jours, sans la permission du gouverneur, et à tout habitant de les loger, sous peine de sévères châtiments. Mais quel ne fut pas leur effroi quand tout-à-coup, d'une des extrémités des Vallées à l'autre, retentirent les paroles alarmantes de l'édit du 31 janvier 1686, ordonnant la cessation complète de tout service religieux non romain, sous peine de la vie et de la confiscation des biens, la démolition des temples de là religion prétendue réformée, le bannissement des ministres et des maîtres d'école, et, pour l'avenir, le baptême de tous les enfants par les cures qui les élèveraient dans la religion romaine. Par cet édit se trouvaient annulées toutes les libertés reconnues et confirmées par la maison de Savoie, de siècle en siècle et de règne en règne, depuis que les Vallées avaient passé sous sa domination au commencement du XIIIème siècle. Une terreur indicible oppressa tous les coeurs. Les traditions et les souvenirs ne rappelaient aucun édit aussi inique. Jamais les Vallées ne s'étaient vues menacées d'un aussi grand danger; jamais du moins il n'avait été si imminent. Si elles ne pouvaient fléchir le duc par des prières, il ne leur restait qu'à prendre les armes et à se défendre jusqu'à la mort. Car des Vaudois, des descendants de martyrs, ne pouvaient songer à l'apostasie. Mais ce fut en vain qu'ils supplièrent leur prince. Leur protecteur naturel, établi de Dieu pour défendre les opprimés, pour exercer la justice, resta sourd à leurs cris. Quelques délais dans l'exécution furent tout ce qu'ils purent obtenir. Étant donc sans espoir de fléchir leur souverain, voyant les troupes piémontaises et françaises se concentrer aux abords de leurs Vallées, entendant enfin les insultes menaçantes des papistes du voisinage, ils prirent quelques précautions défensives; ils se préparèrent à la résistance en cas d'attaque. Cependant, la nouvelle de l'édit incroyable du 31 janvier excitait, dans toutes les contrées protestantes, l'indignation et la pitié. Les princes allemands, la Hollande, l'Angleterre en écrivirent au duc. Les Cantons évangéliques de la Suisse, dont l'amitié et la protection éprouvées avaient déjà été si utiles aux Vaudois, ne démentirent point leurs antécédents. Après avoir adressé au duc une lettre restée sans réponse, ils décidèrent clans une assemblée, tenue à Baden, en février 1686, d'envoyer une ambassade à Turin pour prendre en main la défense de leurs frères en la foi. Les conseillers d'état, Gaspard de Muralt, de Zurich, et Bernard de Muralt, de Berne, choisis pour cette mission, arrivèrent à leur destination au commencement de mars. Ils expliquèrent leur intervention, non-seulement par la conformité de leur foi avec celle des Vaudois, mais encore par l'intérêt qu'ils mettaient à ce qui concernait les patentes de 1655 et de 1664, que l'édit du 31 janvier annulait et qui étaient en partie le fruit de leur médiation. Dans le mémoire qu'ils présentèrent, ils firent valoir, en faveur de leurs frères opprimés, de pressants motifs de tolérance. Ils s'attachèrent surtout à faire ressortir le point de vue historique de la question qui était concluant. Ils représentèrent que les Églises des Vallées du Piémont ne s'étaient point séparées de la religion de leur prince, puisqu'elles vivaient dans celle qu'elles avaient reçue de leurs pères depuis plus de huit siècles, et qu'elles professaient avant de passer sous la domination de Savoie; que les ancêtres de son altesse les ayant trouvées en possession de leur religion, les y avaient maintenues par diverses concessions, et principalement par celles de 1561, 1602, 1603, entérinées en 1620, au prix de six mille ducatons, tout autant d'actes établissant, comme loi perpétuelle et irrévocable, le droit des Vaudois à exercer leur très ancienne religion. Ils rappelaient aussi que, malgré l'erreur de Gastaldo et le trouble suscité par son ordonnance, le père de son altesse avait reconnu et confirmé les privilèges des Vaudois par deux patentes solennelles, perpétuelles et irrévocables, des années 1655 et 1664, entérinées en bonne forme. Les ambassadeurs rappelaient enfin les engagements que les prédécesseurs de son altesse avaient à la face de l'Europe lorsqu'ils avaient été sollicités par des rois, des princes et des républiques à confirmer aux Vaudois leur liberté religieuse. Le mémoire démontrait aussi que les Vaudois n'avaient donné aucun sujet de plainte qui pût justifier un tel décret (12). La réponse que le marquis de Saint-Thomas fit au nom de son souverain au mémoire des ambassadeurs renfermait un aveu humiliant. Ce ministre des affaires étrangères déclara que son maître n'était pas libre de retirer ou de modifier son décret; qu'il avait des engagements qui ne pouvaient se rompre; que le voisinage d'un roi puissant et jaloux de sa considération imposait au duc la ligne de conduite qu'il suivait. Les lettres des princes protestants ne purent pas davantage détourner Victor-Amédée de la persécution projetée. (V. Histoire de la Négociation.) Les ambassadeurs suisses avaient reçu ordre de leurs seigneurs, s'ils ne pouvaient faire retirer ou modifier considérablement le décret, d'obtenir pour les Vaudois leur liberté d'émigrer dans d'autres contrées. La cour de Turin, que l'on sonda, ne parut pas s'y opposer, et consentit à ce que les députés en allassent faire la proposition aux Vallées. (V. Histoire de la Négociation de 1686, p. 58 et suiv. - Histoire de la Persécution, etc., en 1686; Rotterdam, 1689, p. 8 et suiv.) L'assemblée des délégués des communes (13) n'ouït pas, sans un trouble extrême, le rapport que les ambassadeurs lui firent de la situation désespérée de leurs affaires, et la proposition toute nouvelle d'émigrer en masse. Les Vaudois avaient cru que l'Europe réformée leur obtiendrait la garantie de leurs libertés.... Et, au lien de ce secours efficace, on ne leur laisse voir de salut que dans l'abandon de leur terre natale. À quoi se résoudre ? Quel parti choisir ? Ils consultent leurs bons amis, les ambassadeurs. Ceux-ci, en gémissant, leur conseillent l'éloignement certains qu'en présence des forces réunies de la Savoie et de la France, les Vaudois n'ont aucune chance d'échapper à une ruine épouvantable et définitive.
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