paix et salut en notre Seigneur Jésus-Christ
Et cependant, vous n’en entendez que la plus petite partie. On répand contre cette doctrine, dans le peuple, d’horribles rapports qui, s’ils étaient exacts, permettraient, à bon droit, à tout le monde de la juger, avec ses auteurs, digne de mille feux et de mille gibets. Comment s’étonner, maintenant, qu’elle soit tellement haïe du monde entier, dès lors qu’on ajoute foi à de telles et si injustes accusations? Voilà pourquoi toutes les classes de la société s’accordent pour condamner aussi bien nous-même que notre enseignement. Les personnes qui se sont constituées juges, entièrement soumises à leur sentiment, prononcent pour sentence l’opinion qu’elles ont apportée de leur maison et estiment s’être bien acquittés de leur office en ne condamnant personne à mort, sinon ceux qui sont reconnus coupables par leur confession ou par un témoignage digne de foi. Mais de quel crime? Celui d’adhérer à cette doctrine damnée, disent-ils. À quel titre l’est-elle? Telle a été la substance de notre défense : ne pas désavouer cette doctrine, mais la défendre comme vraie. Mais le droit à la parole nous a été enlevé.
La puissance des adversaires de Dieu a obtenu jusqu’à maintenant que la vérité de Christ, bien qu’elle ne soit ni perdue ni anéantie, soit cependant cachée et ensevelie comme si elle était honteuse. De plus, la pauvrette Église est ou désolée par des morts cruelles, ou mutilée par des bannissements, ou tellement affectée par des menaces et des frayeurs qu’elle n’ose pas faire entendre sa voix. Ses ennemis insistent tellement qu’ils ont pris l’habitude, après avoir tout ébranlé, de mener jusqu’au bout la ruine entreprise. Personne ne se dresse pour s’opposer à de telles violences. Certains, qui s’occupent d’être avocats de la vérité, disent qu’on doit, en quelque mesure, pardonner l’imprudence et l’ignorance des gens simples. En parlant ainsi, ils ont tellement honte de l’Évangile qu’ils qualifient la vérité incontournable de Dieu d’imprudence et d’ignorance, et ceux que notre Seigneur a estimés au point de leur communiquer les secrets de sa sagesse céleste de « gens simples ».
Or, c’est votre fonction, Sire, de ne détourner ni vos oreilles ni votre courage d’une si juste cause, étant donné, surtout, qu’il est question d’une chose capitale : comment maintenir la gloire de Dieu sur terre; comment conserver son honneur et sa dignité à sa vérité; comment sauvegarder totalement le règne de Christ. Ce sujet est digne de retenir votre attention, digne de relever de votre juridiction, digne de votre trône royal! Car un vrai roi sait se reconnaître vrai ministre de Dieu en gouvernant son royaume(2). À l’inverse, celui qui ne règne point avec la préoccupation de servir la gloire de Dieu n’exerce pas une autorité légitime, mais se comporte comme un brigand. Et on se trompe si on espère une longue prospérité pour un règne qui n’est pas soumis au sceptre de Dieu, c’est-à-dire à sa sainte Parole. Car l’édit céleste ne peut pas mentir, lorsqu’il indique : « Quand il n’y a pas de vision, le peuple est sans frein » (Proverbes 29.18).
Vous ne devez pas éprouver de mépris à cause de notre petitesse. Certes, nous sommes tout à fait convaincus d’être de pauvres gens méprisables : devant Dieu, de misérables pécheurs, parmi les hommes, des êtres vilipendés et rejetés, et même, si vous le voulez, nous sommes l’ordure et les balayures du monde, ou même, si on peut encore la nommer, quelque chose d’encore plus vil. Aussi ne nous reste-t-il rien pour nous glorifier devant Dieu, sinon sa seule grâce, par laquelle, sans aucun mérite de notre part, nous sommes sauvés; et parmi les hommes, sinon notre faiblesse, c’est-à-dire ce que tous estiment être une grande ignominie.
Pourtant, il faut que notre doctrine subsiste élevée et insurpassable, supérieure à toute la gloire et toute la puissance du monde. Car elle n’est pas nôtre, mais du Dieu vivant et de son Christ, que le Père a constitué Roi, pour dominer « d’une mer à l’autre, et du fleuve aux extrémités de la terre » (Psaumes 72.8) et, en frappant « la terre du sceptre de sa parole » (Ésaïe 11.4), pour briser les nations avec sa force et sa gloire « comme on met en pièces le vase d’un potier » (Psaumes 2.9). Les prophètes ont prédit la magnificence de son règne : il abattra les royaumes durs comme le fer et l’airain, et brillants comme l’or et l’argent (Daniel 2.32 sqq.).
Il est bien vrai que nos adversaires nous reprochent d’invoquer faussement la Parole de Dieu que, selon eux, nous détournons de son vrai sens(3). Vous pourrez juger, vous-même, avec votre sagesse, en lisant notre exposé, combien ce reproche est plein non seulement de méchante calomnie, mais d’une incroyable audace. Il sera bon, néanmoins, de donner ici quelques indications pour introduire votre lecture. Quand Paul a voulu que toute prophétie soit interprétée selon l’analogie et à la similitude de la foi (Romains 12.6)(4), il a énoncé une règle sûre pour apprécier toute interprétation de l’Écriture. Si donc notre doctrine est examinée selon cette règle de foi, nous avons la victoire en main. Car, qu’est-ce qui peut mieux convenir à la foi que de nous reconnaître dépourvus de toute qualité pour être vêtus par Dieu, dépourvus de tout bien pour être comblés par lui, esclaves du péché pour être délivrés par lui, aveugles pour être illuminés par lui, boiteux pour être guéris par lui, fragiles pour être fortifiés par lui, privés de tout sujet de gloire afin que lui seul soit glorifié, et nous en lui?
Quand cela et d’autres choses semblables sont dites par nous, nos adversaires crient que, par ce moyen, serait atteinte je ne sais quelle aveuglante lumière de la nature(5), préparation qu’ils ont inventée pour nous inciter à nous tourner vers Dieu(6) : le libre arbitre(7), les œuvres méritoires en vue du salut éternel, avec leurs « surérogations »(8). C’est pourquoi ils ne peuvent pas supporter que la louange et la gloire entière de tout bien, de toute puissance, justice et sagesse réside en Dieu. Mais nous ne lisons point que certains aient été repris pour avoir trop puisé à « la source d’eau vive »; au contraire, le prophète corrige vivement ceux qui se sont creusé « des citernes crevassées qui ne retiennent pas l’eau » (Jérémie 2.13). De plus, qu’y a-t-il de plus propre à la foi que d’avoir Dieu pour père doux et bienveillant quand Christ est reconnu comme notre frère et notre rédempteur, que d’attendre tout bien et toute prospérité de Dieu, dont l’amour a été si grand pour nous qu’il « n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous » (Romains 8.32), que d’attendre en toute confiance le salut et la vie éternelle lorsqu’on pense que Christ nous a été donné par le Père, en qui de tels trésors sont cachés? Nos détracteurs s’opposent à ces choses disant qu’une telle certitude de foi n’est pas sans audace et orgueil. Il ne faut rien présumer de nous, mais présumer toutes choses de Dieu et si nous sommes, pour une autre raison, dépouillés de toute vaine gloire, c’est pour nous glorifier en Dieu.
Que dirais-je de plus? Considérez, Sire, tous les aspects de notre cause, et jugez-nous les plus méchants des méchants si vous ne trouvez pas que nous sommes manifestement attaqués et couverts d’injures et d’opprobres parce que nous mettons notre espérance dans le Dieu vivant (1 Timothée 4.10), parce que nous croyons que « la vie éternelle, c’est de connaître le seul vrai Dieu, et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17.3). À cause de cette espérance, certains d’entre nous sont détenus en prison, les autres fouettés, les autres obligés de renier leur foi, les autres bannis, les autres traités avec cruauté, les autres obligés de s’exiler : nous sommes persécutés, considérés comme maudits et exécrables, injuriés et traités inhumainement. Contemplez, d’autre part, nos adversaires (je parle de la situation des prêtres, qui inspirent et encouragent ceux qui s’opposent à nous), et considérez un peu avec moi ce qui les poussent et les dirigent.
Pas un d’entre eux ne fait preuve du moindre bon zèle; et, pourtant, ils ne cessent pas de calomnier notre doctrine, de la décrier et de la diffamer de toutes les manières possibles, afin de la rendre ou odieuse ou suspecte. Ils la qualifient de nouvelle et affirment qu’elle a été forgée depuis peu. Ils lui adressent le reproche d’être obscure et incertaine(10). Ils demandent quels sont les miracles qui l’ont confirmée(11) et s’il est raisonnable qu’elle se passe du consentement de tant de Pères anciens, et qu’elle néglige une si longue tradition(12). Ils insistent pour que nous reconnaissions que cette doctrine est schismatique puisqu’elle fait la guerre à l’Église(13), ou que nous déclarions que l’Église a été comme morte pendant de longues années, durant lesquelles il n’en a été fait nulle mention(14).
Enfin, ils disent qu’il n’est pas nécessaire d’avancer beaucoup d’arguments puisqu’on peut la juger à ses fruits, parce qu’elle engendre une grande multitude de sectes(15), suscite des troubles et des séditions(16), et constitue une incitation à mal faire(17).
Il leur est, en vérité, bien facile de se prévaloir de leur avantage face à une cause indéfendable et perdue, surtout lorsqu’il faut convaincre une population ignorante et crédule. Si nous avions, nous aussi, la même occasion de parler, j’estime que l’ardeur qu’ils déploient si âprement contre nous serait un peu refroidie.
La même ignorance conduit à considérer cette doctrine comme obscure et incertaine. C’est exactement ce dont se plaint notre Seigneur par son prophète : « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de ses maîtres; Israël ne connaît rien » (Ésaïe 1.3). Ils se moquent du caractère douteux de notre doctrine, mais s’ils avaient à signer la leur de leur propre sang et aux dépens de leur vie, on verrait alors combien ils la prisent. Notre assurance est tout autre, car elle ne craint ni les terreurs de la mort, ni le jugement de Dieu.
Lorsque nous comprenons que les miracles doivent être des sceaux qui scellent l’Évangile, les changerons-nous pour en détruire l’autorité? Quand nous comprenons qu’ils sont destinés à établir la vérité, les utiliserons-nous pour fortifier le mensonge? Comme le recommande l’évangéliste, il faut que la doctrine qui précède les miracles soit examinée en premier lieu : si elle est fidèle, elle pourra être confirmée par des miracles. Or une doctrine peut être considérée vraie si, comme le dit Christ, elle ne tend point à la gloire des hommes mais à celle de Dieu (Jean 7.18; 8.50). Puisque Christ affirme que telle doit être l’attestation, c’est mal utiliser les miracles que de leur donner un autre objectif que celui de glorifier le nom de Dieu. Nous devons aussi nous souvenir que Satan fait des miracles qui, bien qu’ils offrent une illusion plutôt qu’une véritable puissance, sont, cependant, capables de tromper les âmes simples et ignorantes. Les magiciens et les enchanteurs ont toujours fait leur renommée par des miracles; l’idolâtrie des Gentils a été nourrie par des miracles étonnants, qui ne sont pas, toutefois, suffisants pour nous convaincre de la valeur de la superstition des magiciens ou des idolâtres.
Les donatistes(18) ont abusé, autrefois, de la même manière, de la candeur du peuple en accomplissant plusieurs miracles. Nous faisons donc, maintenant, la même réponse à nos adversaires que celle que Saint Augustin a adressée aux donatistes : notre Seigneur nous a assez prévenus contre les faiseurs de miracles, nous annonçant qu’il surviendrait de faux prophètes qui « opèreront de grands signes et des prodiges au point de séduire si possible même les élus » (Matthieu 24.24)(19). Et Paul a averti que le règne de l’antichrist « se produira par la puissance de Satan avec toutes sortes de miracles et de prodiges mensongers » (2 Thessaloniciens 2.9). Mais nos miracles, disent nos détracteurs, ne sont accomplis ni par des idoles, ni par des enchanteurs, ni par de faux prophètes, mais par les saints : comme si nous ne savions pas que c’est l’astuce de Satan de « se déguiser en ange de lumière » (2 Corinthiens 11.14)!
Les Égyptiens ont fait autrefois de Jérémie un dieu qui a trouvé place dans leur religion, lui offrant des sacrifices et lui rendant les honneurs en usage comme à leurs autres dieux(20). N’abusaient-ils pas du saint prophète de Dieu au profit de leur idolâtrie? Et pourtant, étant guéris de la morsure des serpents, ils pensaient recevoir ainsi le salaire de la vénération dont son sépulcre était l’objet. Que dirons-nous, sinon que Dieu a été et sera toujours juste dans son jugement en envoyant « une puissance d’égarement pour qu’ils croient au mensonge… ceux qui n’ont pas cru à la vérité » (2 Thessaloniciens 2.11)?
Les miracles ne nous manquent donc pas; ils sont même certains et non sujets à la moquerie; à l’inverse, ceux dont nos adversaires se prévalent sont de pures illusions de Satan, lorsque, en le trompant, ils découragent le peuple d’honorer son Dieu.
Ces Pères anciens ont écrit avec sagesse des choses excellentes, mais il leur est aussi arrivé, en plusieurs endroits, de se tromper et d’errer, ce qui est humain. Nos détracteurs, selon la droiture d’esprit, de jugement et de volonté qui est la leur, adorent seulement les erreurs et les fautes des Pères, tandis que les choses qui ont été bien dites par eux, ou ils ne les voient pas, ou ils les dissimulent, ou ils les pervertissent, comme si leur seul souci était de recueillir de la fiente dans de l’or. Et, ensuite, ils nous poursuivent bruyamment comme si nous méprisions les Pères et étions leurs ennemis. Il s’en faut de beaucoup que nous les méprisions car, si c’était l’objet de notre présent propos, il me serait facile d’appuyer sur leurs témoignages la plus grande part de ce que nous affirmons aujourd’hui. Nous lisons leurs écrits et les jugeons en nous souvenant de ce que dit Paul : toutes choses sont à nous pour nous servir, non pour dominer sur nous; « et vous êtes à Christ » auquel il faut obéir toujours et entièrement (1 Corinthiens 3.21-22). Ceux qui n’observent point cela ne peuvent rien avoir de certain en matière de foi, puisque les saints Pères en question ont ignoré beaucoup de choses, sont très différents les uns des autres, et même, parfois, se contredisent.
Salomon, nous disent-ils, ne nous commande point sans raison de « ne pas déplacer la borne ancienne que tes pères ont posée » (Proverbes 22.28)(21).
Mais il n’est pas question d’observer une même règle pour le bornage des champs et pour l’obéissance de la foi, qui doit être précise au point de nous faire oublier notre peuple et la maison de notre père (Psaumes 45.11). Davantage, puisque nos détracteurs aiment beaucoup les allégories, pourquoi ne prennent-ils pas pour Pères les apôtres eux-mêmes, dont il n’est pas permis d’arracher les bornes, plutôt que tout autre? C’est ainsi que l’a interprété Saint Jérôme, dont ils ont rappelé les paroles dans leurs canons(22). Et s’ils veulent que les limites des Pères soient observées, pourquoi eux-mêmes, quand cela leur fait plaisir, les franchissent-ils si audacieusement?
Un de ceux qui étaient au nombre des Pères a dit que comme Dieu ne buvait ni ne mangeait, il n’avait, par conséquent, que faire de plats ou de calices(23).
Un autre, que les sacrements des chrétiens ne requièrent ni or ni argent et ne plaisent pas à Dieu s’ils sont en or(24). Ils dépassent donc les limites quand, dans leurs cérémonies, ils apprécient tant l’or, l’argent, le marbre, l’ivoire, les pierres précieuses et les soies, et pensent que Dieu ne peut être dignement honoré que si ces choses sont présentes en abondance.
Un autre Père a affirmé pouvoir manger librement de la viande pendant le carême, tandis que les autres s’en abstenaient : puisqu’il était chrétien(25). Nos détracteurs franchissent donc les limites quand ils excommunient une personne qui aura consommé de la viande durant le carême.
Un de ceux qui étaient au nombre des Pères a dit(26) qu’un moine qui ne laboure point de ses mains doit être considéré comme un brigand. Un autre a affirmé qu’il n’est pas permis aux moines de vivre du bien d’autrui, même s’ils se consacrent avec assiduité à la contemplation, la prière et l’étude(27). Ils ont aussi passé la limite, quand ils ont mis les ventres oisifs des moines en des bordels – c’est-à-dire leurs cloîtres – pour être gavés de la substance d’autrui.
Il était également Père celui qui a dit que voir, dans les temples des chrétiens, une image ou de Christ ou de quelque saint était une horrible abomination(28).
Cela n’a pas été dit seulement par un homme particulier, mais a aussi été décidé par un concile ancien(29) : que ce qu’on adore ne soit ni une peinture ni un portrait. Il s’en faut de beaucoup qu’ils respectent ces limites, lorsqu’ils ne laissent pas le moindre petit coin vide de simulacres dans leurs églises.
Un autre Père a conseillé de laisser reposer les morts après avoir effectué leur sépulture(30). Nos détracteurs débordent les limites lorsqu’ils requièrent qu’on se préoccupe constamment des défunts.
C’est aussi un Père, qui a dit que la substance et la nature du pain et du vin demeurent dans le sacrement de la cène, comme la nature humaine demeure conjointe à son essence divine en notre Seigneur Jésus-Christ(31). Ils ne tiennent pas compte de cette limite lorsqu’ils font croire qu’immédiatement après que les paroles sacramentelles ont été récitées, la substance du pain et du vin est anéantie. Il était également au nombre des Pères celui qui a nié que, dans le sacrement de la cène, le corps de Christ était enfermé dans le pain, mais que c’était seulement le signe de son corps; il parle ainsi de façon littérale(32). Nos détracteurs passent donc la limite en disant que le corps de Christ est contenu là et qu’ils le font adorer de façon charnelle, comme s’il y était localement(33). Ils étaient également des Pères ceux dont l’un a ordonné que soient entièrement rejetées de la participation à la cène les personnes qui, prenant l’une des espèces, s’abstenaient de la seconde(34). Un autre maintient qu’il ne faut pas priver le peuple chrétien du sang de son Seigneur, pour lequel il doit être prêt à répandre son sang(35). Ils ont ôté ces limites quand, commandant rigoureusement la même chose, l’un punissait ceux qui y contrevenaient par l’excommunication, l’autre par une forte réprobation(36).
Il était aussi au nombre des Pères, celui qui affirme qu’il est illégitime de déclarer quelque chose d’obscur sur un point ou sur un autre, sans témoignages clairs et évidents de l’Écriture(37). Nos détracteurs ont bien oublié cela en élaborant des constitutions, des canons et des décisions doctrinales, sans une seule parole de Dieu.
C’est un des Pères qui a reproché à Montan(38) d’avoir été le premier, entre autres hérésies, à avoir imposé le jeûne(39). Ils ont aussi franchi les limites en ordonnant, de façon stricte, de jeûner(40).
C’est un Père qui a soutenu que le mariage ne devait pas être interdit aux ministres de l’Église, et qui a déclaré que la compagnie d’une femme légitime était l’équivalent de l’état de chasteté(41) ; et ceux qui étaient d’accord avec lui étaient des Pères(42). Ils ont franchi la limite, quand le célibat a été ordonné à leurs prêtres.
Celui qui a écrit qu’on doit écouter Christ seul, dont le Père céleste a dit : Écoutez-le; et n’ayez pas égard à ce qu’auront fait ou dit les autres avant nous, mais suivez seulement ce qu’aura commandé Christ, qui est le premier de tous(43), celui-là, dis-je, était un des plus anciens Pères. Nos détracteurs ne se sont pas maintenus dans ces limites et n’ont pas permis que les autres s’y maintiennent, lorsqu’ils ont institué au-dessus d’eux, comme des autres, des maîtres nouveaux en dehors de Christ. C’est un Père qui a maintenu que l’Église ne doit pas se préférer à Christ, puisque lui juge toujours droitement, mais que les juges ecclésiastiques, étant des hommes, peuvent souvent se tromper(44). Ils rompent bien une telle limite en estimant que l’autorité de l’Écriture dépend du bon plaisir de l’Église(45).
Tous les Pères, avec la même force, ont eu en abomination et se sont accordés pour détester que la sainte Parole de Dieu soit contaminée par des subtilités sophistiques et soit l’objet de combats et de discussions philosophiques(46). Mais s’en préoccupent-ils lorsqu’ils ne font pas autre chose, durant toute leur vie, que d’ensevelir et d’obscurcir la simplicité de l’Écriture au cours de débats infinis et en posant des questions plus que sophistiques? La situation est telle que si les Pères revenaient maintenant et entendaient de tels combats, que nos détracteurs appellent « théologie spéculative », ils ne pourraient pas admettre que cela puisse être de Dieu.
Mais j’aurais trop à dire si je voulais exposer avec quelle insouciance ils rejettent le joug des Pères, dont ils disent vouloir être les obéissants disciples. Il me faudrait y passer des mois et des années. Et pourtant, leur impudence est telle qu’ils osent nous reprocher de ne pas respecter les limites anciennes.
Ainsi des vices particuliers à quelques-uns est provenue une faute sociale ou, plutôt, la reconnaissance commune d’un vice que ces « bonnes personnes » veulent transformer en loi. Ceux qui ne sont pas entièrement aveugles voient que des flots de maux déferlent ainsi sur la terre, et que des pestes mortelles ont atteint et dégradé l’humanité.
Bref, tout tombe en ruine au point qu’il faut ou entièrement désespérer de la condition humaine ou pouvoir supprimer de tels maux, même par des remèdes énergiques. On rejette pourtant le remède, et cela pour la simple raison que nous sommes, depuis longtemps déjà, accoutumés aux calamités.
L’erreur publique a sa place dans la société des hommes(47), mais dans le règne de Dieu, sa seule vérité éternelle doit être écoutée et observée, face à laquelle ne résiste aucune prescription en vigueur depuis longtemps, aucune coutume ancienne ou due à quelque machination humaine(48). C’est ainsi que jadis, Ésaïe a instruit les élus de Dieu : « Vous n’appellerez pas conspiration tout ce que ce peuple appelle conspiration » (Ésaïe 8.12) : autrement dit, on ne s’associe pas à la conspiration du peuple, on ne ressent pas ses peurs et on n’est pas impressionné comme lui; mais on sanctifie plutôt le Seigneur des armées qui est l’objet de notre seule crainte.
Que nos adversaires nous opposent maintenant autant d’exemples qu’ils voudront, soit du temps passé soit du temps présent : si nous sanctifions le Seigneur des armées, ils ne nous effraieront guère! Même si, dans le siècle, l’impiété est enracinée depuis longtemps, le Seigneur est puissant pour juger jusqu’à la troisième et la quatrième génération. Si le monde entier s’accorde pour perpétrer une même méchanceté, Dieu nous a enseigné, concrètement, quelle est la fin de ceux qui pèchent avec la multitude, lorsqu’il a tout détruit par le déluge, préservant Noé et sa petite famille, afin que par la foi d’un seul, « il condamna le monde » (Genèse 7.1; Hébreux 11.7). En résumé, une mauvaise coutume n’est rien d’autre qu’une peste publique, qui atteint chacun dans la multitude, individuellement comme collectivement. Bien plus, il faut considérer ce que dit Cyprien quelque part : ceux qui tombent par ignorance, même s’ils ne sont pas entièrement sans faute peuvent sembler, dans une certaine mesure, excusables, mais ceux qui rejettent la vérité avec obstination, quand elle leur est offerte par la grâce de Dieu, ne peuvent prétendre à aucune excuse(49).
C’est sur ces points que porte notre controverse. Premièrement, nos détracteurs requièrent toujours une forme d’Église visible et apparente(51).
Secondement, ils la situent au siège de l’Église romaine avec sa hiérarchie(52).
Nous, au contraire, nous affirmons que l’Église peut exister sans apparence visible et même que son apparence ne dépend pas de la pompe extérieure qu’ils ont en folle admiration. L’Église a bien d’autres marques : la pure prédication de la Parole de Dieu et l’administration des sacrements convenablement instituée(53).
Ils ne sont pas contents si l’Église ne peut pas toujours être désignée du doigt. Mais combien de fois est-il arrivé qu’elle ait été tellement déformée dans le peuple judaïque qu’elle en avait perdu toute apparence? Quelle forme, pensons-nous qu’avait l’Église, quand Élie se plaignait d’être resté seul (1 Rois 19.10)? Combien de fois depuis l’avènement de Christ a-t-elle été cachée sans forme? N’a-t-elle pas souvent été opprimée par des guerres, des séditions, par des hérésies, au point qu’on ne la voyait nulle part? Si nos détracteurs avaient vécu en ce temps-là, auraient-ils cru qu’il y avait quelque Église? Mais il a été dit à Élie qu’il y avait encore sept mille hommes qui n’avaient pas fléchi le genou devant Baal (19.18).
Et nous ne devons nullement douter que Jésus-Christ a toujours régné sur terre depuis qu’il est monté au ciel : mais si, dans de telles désolations, les croyants avaient voulu avoir une manifestation visible, n’auraient-ils pas perdu courage? De fait, Hilaire considérait déjà de son temps comme un grand vice, qu’étant aveuglés par la considération excessive qu’ils portaient à la dignité des évêques, ils ne discernaient pas quelles pestes étaient parfois cachées sous de tels masques. Il s’exprime ainsi : Je vous en prie, gardez-vous de l’antichrist.
Vous vous arrêtez trop aux murs, cherchant l’Église de Dieu dans la beauté des édifices, pensant que l’unité des croyants se trouve là. Doutons-nous que l’antichrist doive avoir là son siège? Les montagnes, les bois, les lacs, les prisons, les déserts et les cavernes me paraissent plus sûrs et m’inspirent plus de confiance. Car les prophètes, en y étant cachés, ont prophétisé(54).
Or, qu’est-ce que le monde honore aujourd’hui chez ces évêques au bonnet cornu(55), sinon qu’il estime meilleurs ceux qui sont dans les plus grandes villes? Loin de nous une telle idée! Permettons au Seigneur, puisqu’il est seul à connaître qui sont les siens (2 Timothée 2.19), de cacher parfois aux hommes la réalité extérieure de son Église. Je reconnais que c’est là un terrible jugement de Dieu sur le monde; mais si l’impiété des hommes le mérite, pourquoi nous efforçons-nous de nous opposer à la justice divine? C’est ainsi qu’autrefois le Seigneur a puni l’ingratitude des humains. Car, n’ayant pas voulu obéir à sa vérité et ayant éteint sa lumière, ils ont été aveuglés, abusés par de lourds mensonges et ensevelis dans de profondes ténèbres, au point qu’aucune forme d’Église véritable n’était visible. Cependant, Dieu a conservé les siens au milieu de ces erreurs et de ces ténèbres, bien que les croyants soient disséminés et invisibles.
Cela n’est pas étonnant : car le Seigneur a appris à les garder dans la confusion de Babylone et dans la flamme de la fournaise ardente (Daniel 3).
Quant au désir de nos détracteurs que la forme de l’Église revête je ne sais quelle vaine pompe, je veux seulement dire, sans m’étendre, combien cela est dangereux. Le pape de Rome, disent-ils, qui tient le siège apostolique, et les autres évêques représentent l’Église et doivent être considérés comme étant l’Église : c’est pourquoi ils ne peuvent pas se tromper. Pour quelle raison?
Parce qu’ils sont pasteurs de l’Église et consacrés à Dieu, répondent-ils. Aaron et les autres conducteurs du peuple d’Israël étaient aussi des pasteurs. Aaron et ses fils ont été élus prêtres de Dieu : pourtant ils ont commis une faute en forgeant un veau (Exode 32.4). Selon ce point de vue, les quatre cents prophètes qui trompaient Achab n’auraient-ils pas été des représentants de l’Église?
L’Église était du côté de Michée, seul et méprisable, de la bouche duquel sortait, toutefois, la vérité (1 Rois 22.8 sqq.). Les prophètes qui s’élevaient contre Jérémie, se vantant que « la loi ne périra pas faute de prêtres, ni le conseil faute de sages, ni la parole faute de prophètes » (Jérémie 18.18), ne portaient-ils pas le nom de l’Église? Contre cette multitude, Jérémie est envoyé pour annoncer, de la part de Dieu, que « le roi et les ministres perdront courage, les sacrificateurs seront désolés et les prophètes stupéfaits » (4.9). N’en a-t-il pas été ainsi au concile réuni par les prêtres, les docteurs et les religieux lorsqu’ils se sont concertés pour décider la mort de Jésus-Christ (Matthieu 26.4; Jean 12.10)?
Que nos adversaires se vantent maintenant, fiers de leurs simulacres qui font de Christ et des prophètes du Dieu vivant des schismatiques et, à l’inverse, des ministres de Satan, des instruments du Saint-Esprit!
De plus, s’ils sont honnêtes, qu’ils me disent, en toute bonne foi, dans quelle région ou dans quel peuple, ils pensent que l’Église réside puisque, par la décision définitive du concile de Bâle, le 25 juin 1439, Eugène, pape de Rome, a été déposé et Amédée, duc de Savoie, mis à sa place le 5 novembre 1439(56)? Même s’ils devaient en périr, ils ne pourront nier que le concile, quant aux solennités extérieures, n’a pas été bon et légitime, et a été convoqué non par un pape mais par deux. Eugène a été condamné là comme schismatique, rebelle et défaillant avec toute l’assemblée des cardinaux et des évêques qui avaient combiné, avec lui, la dissolution du concile. Néanmoins, bénéficiant depuis de la faveur des princes, il est demeuré en possession de la papauté, et l’élection d’Amédée, solennellement décidée par l’autorité du concile sacré et général, est partie en fumée, ledit Amédée étant apaisé par un chapeau de cardinal, comme un chien qui aboie pour un morceau de pain. De ces hérétiques rebelles et insoumis sont issus les papes, les cardinaux, les évêques, les abbés et les prêtres qui ont existé depuis.
Il est nécessaire que nos détracteurs soient ici mis au pied du mur. De quel côté mettront-ils le nom d’Église? Nieront-ils que le concile a été général, et qu’il ne lui manquait rien en ce qui concerne sa majesté extérieure, puisqu’il avait été solennellement convoqué par une double bulle, dédié par le légat du saint siège apostolique, qui le présidait, avec des cérémonies bien organisées, et qu’il s’est poursuivi avec la même dignité jusqu’à la fin? Reconnaîtront-ils Eugène comme schismatique, avec toute sa bande, par laquelle ils ont été consacrés? Il faut donc qu’ils définissent autrement la forme de l’Église ou bien, selon leur propre doctrine, nous les considérerons comme schismatiques puisque, sciemment et selon leur volonté, ils ont été ordonnés par des hérétiques.
Et, si on n’avait jamais compris jusqu’ici que l’Église n’est point liée à des pompes extérieures, ils nous en fournissent une illustration certaine quand, sous le beau titre d’« Église », ils se sont orgueilleusement imposés au monde, bien qu’ils aient été des pestes mortelles pour l’Église. Je ne parle pas de leurs mœurs et des actes honteux dont toute leur vie est remplie; puisqu’ils se montrent pharisiens : il faut les écouter, et ne pas les imiter (Matthieu 23.3).
Si vous vouliez employer un peu de votre loisir, Sire, à lire nos enseignements, vous reconnaîtriez clairement que leur doctrine même, pour laquelle ils veulent être reconnus comme Église, est une cruelle géhenne et une boucherie des âmes, un brandon, une ruine et une déconstruction de l’Église.
C’est ainsi que jusqu’à une période récente, alors que tout était enseveli dans les ténèbres, ce seigneur du monde s’est joué des hommes à plaisir et, comme Sardanapale(57), se reposait et prenait du bon temps en toute tranquillité. En effet, qu’avait-il à faire d’autre que de jouer et plaisanter, alors que tout était paisible et tranquille sous son règne?
Mais, depuis que la lumière brillante d’en haut a quelque peu chassé ses ténèbres, depuis que « le Fort » a attaqué et troublé son règne, il a immédiatement commencé à sortir de sa paresse et à prendre les armes (Luc 11.22). Satan a d’abord incité les hommes à utiliser la force pour opprimer violemment la vérité qui surgissait. Lorsque la force n’a pas eu les effets escomptés, il s’est mis à dresser des embûches. Et, par les anabaptistes et d’autres personnes du même genre, il a suscité plusieurs sectes et des diversités d’opinions afin d’obscurcir cette vérité et, finalement, l’éteindre. Actuellement encore, il poursuit son action par les deux méthodes. Il s’efforce, en effet, par la violence et par des mains humaines, d’arracher la vraie semence; et autant qu’il le peut, il tâche de la remplacer par son ivraie, afin de l’empêcher de croître et de produire son fruit.
Mais les efforts de Satan seront vains si nous comprenons les avertissements du Seigneur qui, depuis longtemps, nous a montré ses astuces, afin que nous ne soyons pas surpris, et qui nous a donné de bonnes armes contre ses machinations. Quelle grande perversité d’imputer à la Parole de Dieu la haine ou les luttes que suscitent à son encontre les fous et les écervelés ou les sectes que créent ceux qui trompent les autres! Ce n’est pas la première fois! On a demandé à Élie, si ce n’était pas lui qui troublait Israël (1 Rois 18.17). Christ a été accusé de soulever le peuple juif (Luc 23.5). On a accusé les apôtres, comme s’ils avaient suscité des querelles dans le peuple (Actes 24.5). Que font d’autre, aujourd’hui, ceux qui nous imputent les troubles, les tumultes et les querelles qui s’élèvent contre nous? Élie nous a enseigné la réponse à faire : ce n’est pas nous qui semons les erreurs ou provoquons les troubles, mais eux, qui veulent résister à la puissance de Dieu (1 Rois 18.18). Cette seule raison est suffisante pour réduire leur confiance, mais il est nécessaire de prendre soin de la faiblesse de quelques-uns qui, trop souvent, sont troublés par de tels scandales et en viennent à douter(58).
Ces personnes, afin de ne pas être atteintes et de ne pas perdre courage, doivent se rappeler que les mêmes choses que nous voyons maintenant sont arrivées aux apôtres en leur temps. Il y avait alors des ignorants et des inconstants qui, comme l’écrit Pierre, tordaient, pour leur propre perdition, ce qui était divinement écrit par Paul (2 Pierre 3.16). Il y avait des personnes qui méprisaient Dieu et qui, en entendant que le péché a abondé afin que la grâce abonde davantage, concluaient immédiatement : Nous continuerons donc de pécher, afin que la grâce abonde. En entendant que les croyants n’étaient pas sous la Loi, ils disaient : Nous pécherons, puisque nous ne sommes point sous la Loi, mais sous la grâce (Romains 6.1-15). Certains appelaient Paul un incitateur à mal faire. De faux prophètes s’introduisaient dans les Églises pour détruire ce qu’il avait édifié (2 Corinthiens 11.13); certains prêchaient l’Évangile « par envie ou par rivalité », non avec sincérité (Philippiens 1.15), et même par méchanceté, pensant que cela le peinerait davantage dans sa prison. Dans certains lieux, l’Évangile ne progressait guère : chacun cherchant son profit et ne se préoccupant pas de servir Jésus-Christ; les autres se révoltaient, retournant comme le chien à son vomissement ou les pourceaux à leur bourbier (2 Pierre 2.18-22). Plusieurs ont transformé la liberté de l’esprit en permissivité sexuelle. Plusieurs faux frères se sont insinués dans l’Église, mettant en grand danger les croyants. Même parmi les frères, on assistait à des débats.
Que devaient faire les apôtres? Leur était-il bon de se cacher pour un temps, ou d’abandonner complètement et de désavouer cet Évangile qu’ils voyaient être la semence de tant de querelles, la cause de tant de dangers, l’occasion de tant de scandales? Au sein de leurs angoisses, ils se sont souvenus que Christ est la pierre d’achoppement et de scandale, la cause de « la chute et du relèvement de plusieurs, et un signe qui provoquera la contradiction » (Luc 2.34). Armés de cette foi, ils ont avancé avec courage et ont fait face aux causes de tumultes et de scandales.
Nous avons à nous encourager par une même pensée, puisque Paul témoigne que l’Évangile sera toujours « une odeur de mort, qui mène à la mort » pour ceux qui périssent (2 Corinthiens 2.16), bien qu’il soit plutôt destiné à « être une odeur de vie qui mène à la vie » pour ceux qui sont sauvés, et « une puissance de Dieu pour le salut » des croyants (Romains 1.16). Nous l’expérimenterions aussi nous-mêmes, si nous ne faisions pas obstacle à un si grand bienfait et si nous ne le détournions pas de nous par notre ingratitude, si nous n’utilisions pas pour notre ruine ce qui devait être pour nous un moyen souverain de salut.
Quant à nous, nous sommes injustement accusés de faire de telles choses, sans en avoir jamais suscité le moindre soupçon. Est-il vraisemblable que nous, dont on n’a jamais entendu la moindre parole séditieuse et dont la vie a toujours eu la réputation d’être simple et paisible, lorsque nous vivions sous votre règne, Sire, nous ayons le projet de renverser les royaumes? De plus, maintenant, chassés de nos maisons, nous n’arrêtons pas de prier Dieu pour votre prospérité et celle de votre règne. Comment croire que nous recherchions l’autorisation de mal faire sans être repris, étant donné nos mœurs; si celles-ci sont critiquables en bien des choses, elles ne sont toutefois pas dignes d’un si grand reproche. Bien plus, grâce à Dieu, nous n’avons point si mal bénéficié de l’Évangile que notre vie ne puisse pas servir, à nos détracteurs, d’exemple de chasteté, de libéralité, de miséricorde, de tempérance, de patience, de modestie et d’autres vertus. Il est clair, et c’est la vérité, que nous craignons et honorons Dieu purement, puisque par notre vie et par notre mort, nous désirons que son Nom soit sanctifié. Même la bouche des envieux a été contrainte de rendre témoignage de notre innocence et de notre justice extérieure, selon le jugement des hommes, à propos de plusieurs d’entre nous, condamnés à mort pour cette seule raison qui méritait une louange singulière.
Or, si certains, sous le couvert de l’Évangile, suscitent des tumultes(59), ce qu’on n’a pas vu jusqu’ici dans votre royaume, ou qui veulent dissimuler leur permissivité sexuelle sous la liberté qui nous est donnée par la grâce de Dieu – comme j’en connais plusieurs –, il y a des lois et des punitions fixées par les lois pour les corriger sévèrement selon leurs délits. Mais que l’Évangile de Dieu ne soit pas calomnié et l’occasion de blasphèmes à cause des mauvaises actions des méchants.
Vous connaissez ainsi, Sire, la venimeuse iniquité de nos calomniateurs, exposée par assez de paroles, afin que vous ne prêtiez pas trop l’oreille à leurs accusations, comme s’ils étaient dignes de foi. Je crains même d’avoir été trop long : cette préface a presque la longueur d’une défense entière, bien que je n’ai pas eu l’intention d’en composer une, mais seulement de toucher votre cœur pour qu’il accueille notre cause. Bien que vous soyez à présent opposé à nous, et même fâché et enflammé contre nous, j’espère, pourtant, que nous pourrons regagner votre grâce, si vous voulez bien – lorsque votre indignation et votre colère seront tombées – lire notre confession, qui présente notre défense devant Votre Majesté.
Mais si, au contraire, les accusations de ceux qui nous veulent du mal ferment tellement vos oreilles que les accusés n’ont aucun moyen de se défendre, si, d’autre part, sans que vous y mettiez bon ordre, ces oppresseurs exercent toujours leur cruauté par des emprisonnements, le fouet, les tortures, la roue et le feu : nous, certes, comme des brebis destinées à la boucherie, nous serons le dos au mur. Néanmoins, nous ferons preuve de patience et nous attendrons la main forte du Seigneur, qui se manifestera en sa saison et qui apparaîtra armée, tant pour délivrer les pauvres de leur affliction que pour punir ceux qui le méprisent et qui, pour le moment, s’en donnent à cœur joie.
Que le Seigneur, le Roi des rois, veuille affermir votre trône en justice et votre règne en équité.
Jean Calvin (Epitre au roi François Ier - introduction de l'Institution Chrétienne)
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Jean Calvin, institution Chrétienne, Epitre au roi François 1er